Chapitre 7

Tel’Ay Mi-Nag avait honte. Honte d’avoir laissé un futile plaisir personnel prendre le pas sur sa vigilance. Honte d’avoir été piégé par un Jedi, qui était par principe l’ennemi juré des Sith. Honte de ne pas avoir été digne du titre que son défunt maître, Maal Gami, lui avait conféré. Honte de réfléchir encore comme Tel’Ay Mi-Nag, et non pas comme Maal Kuun.
Cette erreur ne se reproduirait pas, il s’en fit le serment intérieurement.
Alors seulement, il se préoccupa du Jedi Whiphid qui, derrière lui, pointait la lame de son sabrolaser sur sa nuque.

Il n’eut que le temps de tourner la tête lentement vers son adversaire, car Ver’Liu intervenait déjà d’une vois ferme :
– Rengainez votre arme, Chevalier ! Cet homme m’a sauvé la vie. Je ne saurais tolérer qu’il lui soit fait du mal.
Tchoo-Nachril ne bougea pas d’un poil, mais répondit :
– Je sens le Côté Obscur de la Force en lui. Je dois l’emmener avec moi sur Coruscant. Les Maîtres du Conseil Jedi voudront l’interroger.
– Vos histoires de Côté Obscur me dépassent. Quoi qu’il en soit, au vu de son acte, cet homme ne peut pas être aussi mauvais que vous semblez le croire.
– Il y a sûrement une raison cachée à ce sauvetage, rétorqua Tchoo-Nachril.
Tout en prononçant ces paroles, qu’il était persuadé être véridiques, il se rendit compte que personne ne le croirait. Les circonstances faisaient de ce Jedi sombre un héros.
– Vous prenez un gros risque, sachez-le, conclut Tchoo-Nachril en éteignant son sabrolaser et en l’accrochant à sa ceinture.
Il croisa les bras et toisa Tel’Ay, qui se tourna vers lui, une lueur mauvaise dans l’œil. Au moins, il n’a pas l’hypocrisie de jouer un rôle avec moi, pensa le Jedi.
– Que les choses soient claires entre nous, Jedi, fit Tel’Ay. Je suis ici pour protéger le roi de Skelor. (Puis, se tournant vers Ver’Liu) Vous êtes en danger de mort, sire, et pour des raisons qui ne regardent que moi, je veux vous aider à survivre face à vos ennemis.
– Qui sont donc ces ennemis ? demanda Ver’Liu. Les usurpateurs zabraks ?
– Ceux-là même, sire. Et au vu de l’importance que prend votre existence au sénat républicain, ils ne sont pas prêts de laisser les choses se tasser, au contraire.
– Je vois… répondit Ver’Liu, occupé à réfléchir furieusement tandis que ses gardes reprenaient position autour de lui.
Le regard de Ver’Liu balaya les cadavres de ses agresseurs, et quand il se tourna vers le chef de ses gardes, le sourcil levé en signe d’interrogation, ce furent Tel’Ay et Tchoo-Nachril qui répondirent à l’unisson :
– Tous morts, sire.
– Voilà qui est contrariant, fit Ver’Liu. Il sera difficile de remonter la piste.

Tel’Ay, pris d’une inspiration subite et désireux de prendre une longueur d’avance sur le Jedi, mit un genou à terre et baissa la tête, face à Ver’Liu, avant de reprendre la parole :
– Sire, je souhaite me mettre à votre service, afin d’assurer votre sécurité, et si mon offre vous intéresse, bien sûr.
– Relevez vous, mon ami. Le formalisme des anciens rois de Skelor est loin derrière nous, et je ne compte pas le faire revivre. J’accepte avec joie votre allégeance, ainsi que vos services. Dès que nous serons revenus dans le secteur skelorien, je vous nommerais chef de ma garde, et par extension chef de la sécurité. Nous réglerons les détails là-bas, avec mon assistant et mon responsable de sécurité actuel.
– Cette nomination ne posera pas de problème à ce dernier ? s’enquit Tel’Ay.
– Non, il n’occupe ce poste que par défaut, et contre son gré. Notre communauté s’agrandit trop vite pour que nous arrivions à l’encadrer correctement.
– Dans ce cas, j’accepte avec plaisir, sire.
– Quel est votre nom, mon ami ?
– Tel’Ay Mi-Nag, sire.
– J’avoue que je connais pas le nom de ce clan.
– Pour tout vous dire, moi non plus, sire. Poussé par la curiosité, j’ai mené quelques recherches sur ce nom, afin d’en savoir plus, mais elles n’ont jamais débouchées sur rien.
– Nous aurons peut-être plus de chance au quartier général.
– Merci, sire. Ce serait un honneur et un plaisir pour moi de rencontrer des membres de mon clan, répondit poliment Tel’Ay, alors qu’il s’intéressait simplement au taux de midi-chloriens d’autres Mi’Nag, pour éventuellement commencer à rebâtir sa confrérie Sith.

Des dizaines de membres de la sécurité du Carolusia surgirent à ce moment, au pas de course et arme au poing, suite à l’appel au secours que l’un des gardes de Ver’Liu avait lancé via comlink. Le chef de l’escorte pressa Ver’Liu de regagner le secteur skelorien, tandis que lui-même resterait commencer son enquête, avec une partie de son équipe.
Tel’Ay et Tchoo-Nachril imposèrent leur présence à l’officier du Carolusia, pour « l’aider dans son investigation », après avoir promis à Ver’Liu de le rejoindre plus tard dans la journée. De son côté, Anaria était restée à l’écart, mais ne semblait pas désireuse de lâcher Tel’Ay d’une semelle.

L’officier du Carolusia et son équipe s’affairèrent aux premières constatations : ils prirent des holos des cadavres, prélevèrent des échantillons épidermique sur les cadavres, et inspectèrent les lieux à l’aide de divers scanners d’analyse. De son côté, Tchoo-Nachril remarqua un petit rongeur près d’un cadavre, sur le dos, les pattes en l’air. Une bonne partie de sa fourrure avait été brûlée par un tir de blaster, et la créature émettait de pitoyables cris de douleur.
– Tu me poses un problème éthique, Jedi noir, lança Tchoo-Nachril à Tel’Ay, tout en prenant délicatement le rongeur entre ses grandes mains. Par définition, tout utilisateur du Côté Obscur de la Force est mon ennemi héréditaire, et l’une de mes attributions consiste à lutter contre le mal.
Tel’Ay se rapprocha. Il sentit que le Whiphid utilisait la Force sur le rongeur, aussi déploya-t-il ses sens à son tour, désireux de glaner une nouvelle technique de guérison.
– Le bien et le mal ne sont que des données subjectives, Jedi, répondit le Skelor, tout en pensant : intéressant. Il ne guérit pas le rongeur, mais lui « présente » de la Force brute, dans laquelle l’animal peut puiser pour réparer ses dégâts physiques. Les Jedi sont conditionnés pour faire le bien, mais les utilisateurs du Côté Obscur apprennent à se servir de leurs pouvoirs pour leur propre profit, pour les causes qu’ils estiment être justes…pas nécessairement pour faire le mal. Donne-moi cet animal, je vais te montrer.
Tchoo-Nachril déposa prudemment le rongeur dans les mains de Tel’Ay, que ce dernier lui présentait en coupe. Le Skelor concentra son propre pouvoir de guérison, et sa vision vira au noir et blanc. Il insuffla peu à peu de la Force partout où des taches et zébrures noires apparaissaient sur le corps du rongeur, et les zones en question s’éclaircirent peu à peu, signe que les blessures se résorbaient peu à peu.
– C’est exactement ce que je disais, Jedi noir, reprit Tchoo-Nachril. Même tes techniques de guérison sont invasives.
– Que veux-tu dire par là ?
– Tu imposes à cette créature de guérir, sans lui laisser le choix. De mon côté, je lui ai fait comprendre qu’en puisant dans ma Force, elle pourrait guérir, mais seulement si elle le désirait. Je lui ai offert une opportunité, en lui laissant son libre arbitre.
– Tu crois que cette bestiole préférerait mourir plutôt que d’être sauvée ?
– Je ne sais pas. Et c’est précisément la raison pour laquelle je lui laisse le choix.
- Ton raisonnement est intéressant, Jedi, mais également stupide. Cet animal est gravement blessé, il doit souffrir comme jamais auparavant. Il ne doit souhaiter qu’une chose : que ses douleurs cessent. Il est plus facile pour lui de se laisser mourir que de lutter pour sa guérison, qu’il estime peut-être instinctivement comme étant impossible. Toi et moi connaissons le pouvoir de la Force, pas lui. S’il avait refusé de puiser dans la Force que tu lui offrais, tu l’aurais laissé mourir ?
– En effet, répondit Tchoo-Nachril.
– Tu es méprisable, Jedi ! Imagine un être tout le temps courageux, prêt à se battre à tout instant de sa vie. Il se retrouve gravement blessé, et pense sa fin proche. Pour la première fois de sa vie, il cède au désespoir, certain qu’il va mourir. Tu arrives, tu proposes de le guérir mais lui, du fond de sa déprime passagère, estime que c’est impossible et refuse ta proposition. A ce moment-là, tu le laisses crever, si j’ai bien compris ton raisonnement ?
– Je prends soin de lui faire comprendre que je peux le guérir, pour qu’il soit certain d’avoir une alternative à la mort.
– C’est ce que je te reproche, Jedi, rétorqua Tel’Ay en posant à terre le petit rongeur, guéri. Si ton offre est refusée pendant un instant de faiblesse, tu t’en laves les mains, te dis « tant pis pour lui, il a eu sa chance », et tu t’en vas la conscience tranquille, content parce que tu as fait ce qu’on t’a appris à faire, sans chercher plus loin que les apparences.
– Ta démonstration est…pertinente, reconnut le Whiphid du bout des lèvres.

Tandis qu’il suivait des yeux le petit rongeur, qui disparaissait promptement dans une anfractuosité du mur, Tchoo-Nachril se remémora brièvement toutes les occasions où il avait confronté des blessés graves à ce choix. A plusieurs reprises, il n’avait en effet pas insisté quand certains avaient rejeté ses services. Il s’était alors contenté de les accompagner dans la mort, afin qu’ils ne périssent pas seuls. Ce faisant, il avait été persuadé d’avoir bien agi, en accord avec les préceptes qui lui avaient été inculqués. Et s’il avait fait fausse route ? Et si son raisonnement était biaisé ? Avait-il pris le chemin du Côté Obscur sans s’en rendre compte ? Pour en avoir le cœur net, il lui faudrait s’entretenir avec ses Maîtres.
Le plus tôt serait le mieux, mais d’autres contingences passaient avant. Le Whiphid se tourna vers le chef des enquêteurs et demanda :
– Vous avez trouvé quelque chose ?
– Rien de flagrant, monsieur. Je vais faire enlever les cadavres et continuer nos analyses en laboratoire. Et il nous faut aussi découvrir comment ces tueurs sont arrivés là.
Tchoo-Nachril opina du chef et se dirigea vers le cadavre Nassil Veraian, Tel’Ay sur ses talons.
– Tu le connais ? demanda le Skelor.
– C’est à cause de lui que je suis là. Il a assassiné le sénateur bothan sur Coruscant, ainsi que des dizaines d’innocents présents à ce moment.
– Je t’adresserais bien des félicitations pour avoir attrapé ton homme, ironisa Tel’Ay, mais je sens que tu n’es pas très satisfait de la situation.
– En effet. Le tueur est hors d’état de nuire, mais je n’ai pas découvert qui avait commandité le meurtre.
Tchoo-Nachril omit de préciser que les données qu’il avait volé chez les Archanges de Norkaï étaient déjà en route vers Coruscant, et qu’une canonnière républicaine avait été armée à la hâte pour investir leur quartier général. Pour sa part, sa mission était terminée, mais il rechignait à laisser Tel’Ay Mi-Nag sans surveillance. Ce Jedi noir ne lui inspirait aucune confiance. Peut-être serait-il avisé de sa part de rester dans les parages, juste au cas où.
– Et que comptes-tu faire désormais ? demanda Tel’Ay, faussement détaché.
– Poursuivre notre conversation, et me sustenter. Je vous paye une collation, à toi et à ta…compagne ? fit-il en désignant Anaria, sentinelle silencieuse et vigilante, qui ne s’était jamais éloignée bien loin pendant ce temps.
La Wookiee acquiesça bruyamment, et les yeux rivés sur Tel’Ay, elle le défia silencieusement de refuser cette offre. Le Skelor grimaça un sourire forcé, et tous trois se mirent à arpenter les couloirs de la station, à la recherche d’un restaurant.


***

Pourquoi rester toujours caché, quand ses pouvoirs surpassaient ceux de ses ennemis ? Telle était la question que Dark Glaro se posait. Son arrivée sur Coruscant se fit sans le moindre accroc. Masquant ses pouvoirs de Sith, il se rendit sur la rotonde du Sénat. Il eut du mal à retenir un sourire méprisant en croisant deux Jedi, incapables de percevoir sa vraie nature. Il observa pendant une demi-heure les allées et venues des gardes sénatoriaux, habillés d’armures bleues marines privilégiant l’apparat plutôt que l’efficacité, et dont le visage était ceint d’un casque qui dissimulait la majeure partie de leurs traits. Au bout de ce laps de temps, leur gestuelle et attitudes n’eurent plus aucun secret pour lui, et il put passer à l’action.
Il déverrouilla un panneau d’accès à une salle de réunion, en utilisant la Force, après avoir sondé la pièce pour s’assurer qu’il y serait seul. Sur Coruscant, l’incroyable densité d’habitants, et la présence du quartier général des Jedi, terrés dans leur maudit Temple, faisaient que la Force ne cessait de hurler. Nul ne pourrait détecter ses petites utilisations du Côté Obscur dans cette cacophonie spirituelle.
Tout était trop facile. Caché derrière la porte, Dark Glaro, les sens en éveil, avait repéré un garde, occupé à faire sa ronde. Il ne perçut pas d’autre présence proche dans le vaste couloir richement décoré. Dès que le garde passa devant la porte, Glaro la déverrouilla, prit une expression affolée et lança à l’homme en bleu :
– Oh mes dieux ! Aidez-moi, monsieur, il est arrivé un grand malheur !
Dès que le garde se fut retourné vers lui, Glaro s’engouffra à nouveau dans la pièce et se colla contre un mur, tout près de la porte.
Quand le garde entra et passa devant Glaro sans le voir, celui-ci bondit, lui arracha son casque et lui fit une clé imparable au cou. D’une pichenette de Force, il ferma la porte, et desserra légèrement son emprise sur le garde.
– Si tu cries, tu meurs. Si tu me mens, tu meurs. Compris ?
L’autre gargouilla son assentiment, et Glaro se délecta de voir qu’il suintait littéralement de peur.
– Où sont les quartiers d’Aar Gamonn ?
L’homme bredouilla :
– Je l’ignore, mais cette donnée se trouve dans mon bloc de données.
– Alors, regarde dedans, rétorqua Glaro en lui libérant une main.
Le garde attrapa son bloc de données d’une vois tremblante, et fit la recherche demandée après avoir rentré ses codes d’accès.
– J’ai trouvé, fit-il d’une voix rauque. Treizième bloc, trente-septième niveau, appartement numéro deux.
– Merci l’ami, répondit doucement Dark Glaro, avant de briser d’un geste sec le cou du garde.
Tout cela est trop facile, je m’ennuie, se dit-il en se déshabillant, avant d’enfiler la tenue de garde.


***

– Un peu de vers d’Anada ? demanda Tchoo-Nachril en tendant le plat d’insectes grouillants à Tel’Ay.
– Volontiers. Rapproche ton verre, que je te serve de cette délicieuse cuvée ’93. Alors, Anaria, ton rôti de grenviaru à la sauce vidélienne est bon ?
– Très, merci, fit-elle en souriant, amusée d’assister à une scène aussi surréaliste.
Le Jedi et le Sith se comportaient avec une dignité à toute épreuve, feignant de trouver normal que deux ennemis héréditaires partagent une table bien garnie. Faisant assaut d’amabilités, ils évitèrent soigneusement de reparler de leur situation respective.


***

Aar Gamonn marchait la tête haute, la démarche fière, dans les couloirs démesurés et richement décorés du Sénat. Ses courtisans l’entouraient, groupe hétéroclite d’une vingtaine de personnes, composé de ses conseillers et de bureaucrates ambitieux, qui ne demandaient qu’à devenir ses collaborateurs.
Son visage reflétait de la compassion et de l’intérêt pour les propos futiles dont sa cour l’abreuvait, et il n’avait pour seule hâte que de se débarrasser de tous ces parasites. Ces insectes l’empêchaient de savourer son triomphe, présent et à venir. Depuis son discours au Sénat, il était en tête des sondages, et la course à la Chancellerie semblait désormais pliée, tellement il avait d’avance sur son rival, Marcus Varolum, décidé à briguer sa propre succession. Valorum peinait de plus en plus à se faire entendre, tandis que lui-même avait le vent en poupe. Le pouvoir était à portée de ses mains, et il devait se retenir pour ne pas pousser un cri de triomphe.
Parvenant enfin à ses quartiers, il s’y engouffra avec ses conseillers. Des gardes sénatoriaux, qui veillaient à l’entrée, empêchèrent les courtisans qui n’appartenaient pas à l’équipe d’Aar Gamonn de le suivre. Las de toute cette agitation, et vu l’heure tardive, il annonça qu’il se retirait dans ses appartements privés. Un sourire radieux barra son visage dès qu’il fut chez lui, le panneau d’ouverture verrouillé derrière lui. Comme la vie était belle !
Il n’eut pas le temps de se rendre compte qu’il n’était pas seul. Sa tête fut détachée de ses épaules par un ample mouvement de sabrolaser, et elle vola à travers la pièce.
Par le Chaos, c’est la mission la plus nulle que j’ai jamais accomplie, se plaignit intérieurement Dark Glaro en rengainant son arme.

Le Sith n’avait plus qu’à ressortir de la même manière qu’il était entré, c’est-à-dire en déformant les perceptions des occupants des quartiers d’Aar Gamonn, qui ne le verraient même pas. Je vaut bien mieux que cela, il est grand temps que Dark Omberius s’en rende compte.


***

Leur repas plantureux terminé, et alors qu’ils buvaient un digestif, Tchoo-Nachril revint aux choses sérieuses :
– Tel’Ay Mi-Nag, tu disais tout à l’heure au roi que tu voulais le protéger. Mais quel est ton véritable but : assurer sa survie, ou détruire ses ennemis ?
– Les deux allant de pair pour l’instant, la question ne se pose pas.
– Si, elle se pose. Je dois en savoir plus sur tes motivations, afin de définir ma propre ligne de conduite.
– Vraiment ? fit Tel’Ay en souriant. Et si je te mens ?
– Tu peux tenter ta chance, mais j’ai un don pour savoir quand on me dit ou non la vérité.
– De mon côté, comme je suis très doué pour mentir, je me demande qui de nous deux gagnerait à ce petit jeu. Si ça peut te consoler, mentir ne m’arrangerait pas dans la situation présente : la vérité servira mieux mes intérêts. Jouons cartes sur table, Jedi. Je me fous éperdument du gamin, et si les circonstances étaient différentes, il pourrait crever sur place sans que je lève le petit doigt pour l’aider. Seulement, celui qui veut l’abattre est mon ennemi mortel et pour l’instant, la meilleure manière pour moi de lui mettre des bâtons dans les roues est de faire en sorte que le gosse reste en vie. Dès que sa sécurité sera vraiment assurée, je me mettrais en chasse, anéantirais la menace qui plane sur lui et disparaîtrais.
– Et quelle est cette menace, cet ennemi mortel ?
– Tu n’as pas à le savoir. Cela ne concerne que les adeptes du Côté Obscur.
– Une lutte pour le pouvoir au sein des ténèbres, si je te suis bien.
– Très poétique, railla Tel’Ay.
Pris d’une inspiration subite, le Skelor poursuivit :
– Si tu veux en savoir plus, il faudra te rendre sur Skelor I. C’est là que tout se trame, et tu pourrais être surpris par ce que tu y découvriras.
– Hum…je dois m’en référer au Conseil des Jedi. Et leur faire part de ton existence comme de tes agissements. Je doute fort que les Maîtres tolèrent qu’un Jedi noir se charge de la sécurité de Ver’Liu So-Ren.
– « Tolèrent » ? Vraiment ? Les Jedi ? On parle bien de ces utilisateurs de la Force n’ont pas levé le petit doigt pour aider la dynastie skelorienne à se maintenir sur le trône il y a trente ans ? Une telle ingérence de leur part pourrait être mal perçue, et maladroite de surcroît.
– Ton roi a appelé la République au secours, et en tant que Chevalier Jedi, je suis le représentant d’une organisation au service de la République. De plus, le fait qu’un Jedi sombre se mette au service d’une cause qui semble juste me titille au plus haut point.
– Là-dessus, tu n’as rien à dire. Le roi a accepté mes services.
– C’est exact. Ceci dit, compte sur moi pour ne pas te lâcher d’une semelle en attendant d’avoir fait mon rapport à mes supérieurs, et d’avoir reçu de nouvelles instructions.


***

– Salutations, Marcus.
– Maddeus, je suis ravi de te voir ! s’empressa de répondre le Chancelier, tout en se levant de son bureau pour venir saluer son ami, Grand Maître de l’Ordre Jedi.
– Comment te portes-tu ? demanda le Jedi, en constatant la mine fatiguée de son interlocuteur.
– Hum, je me demande comment ça pourrait aller plus mal ! Depuis que le corps d’Aar Gamonn a été retrouvé, il y a deux heures, le Sénat est en ébullition ! A peine deux semaines après le meurtre de Jeroed’Erfey, voilà qu’un nouveau sénateur est assassiné. Et cette fois-ci, c’est à peine si on ne m’accuse pas d’être l’instigateur de ce crime odieux.
– Je suis au courant, oui. Pour ne rien arranger, le meurtre de Jeroed’Erfey ne sera pas résolu. Je viens de recevoir un rapport de Tchoo-Nachril : il a retrouvé le meurtrier, mais celui-ci était déjà mort quand il est arrivé. L’homme en question se nommait Nassil Veraian, et tentait d’assassiner Ver’Liu So-Ren quand il a été lui-même abattu.
– So’Ren ? Qu’est-ce qu’il vient faire là-dedans, celui-là ? Par la Force, ces maudits Skelors commencent sérieusement à me taper sur les nerfs !
– Je crains que nous ne soyons pas au bout de nos surprises. D’après Tchoo-Nachril, la sécurité du roi de Skelor est désormais assurée par un Jedi sombre, depuis que celui-ci a déjoué la tentative d’assassinat de So-Ren.
– Celle-là même où ce Veraian est mort ?
– Celle-là même. La situation est confuse et préoccupante.
– Et c’est intolérable, d’autant plus que nous n’avons pas le choix ! Je veux que des Jedi protègent coûte que coûte ce Skelor ! Nous devons montrer que nous maîtrisons la situation, et que les Skelors sont une préoccupation majeure pour nous.


***

Tel’Ay fut atterré de découvrir le secteur skelorien de la station Carolusia. Tout n’était que chaos indescriptible, entre les gardes qui tentaient vainement de mettre bon ordre dans la cacophonie, et les dizaines de personnes qui s’interpellaient de tous côtés.
Il indiqua à Anaria une arche, non loin de là, gardée par une dizaine de Skelors à l’air revêche, arme à la main. Vu leur posture, Tel’Ay n’eut aucun mal à comprendre que Ver’Liu devait se trouver quelque part derrière ce cordon ce sécurité. Il laissa passer la Wookiee devant lui, et un chemin s’ouvrit prestement devant eux, d’autant plus qu’Anaria faisait facilement deux têtes de plus que le plus grand des Skelors.
L’un des gardes avala sa salive quand Tel’Ay et Anaria lui firent face, et dit :
– Je présume que vous êtes Tel’Ay Mi-Nag. Notre souverain nous a averti que vous voyagiez avec une Wookiee.
– En effet, c’est bien moi.
– Suivez-moi. Son altesse a ordonné que vous soyez amené devant elle dès votre arrivée.

Ainsi fut fait, et Tel’Ay prestement mené à une salle pourvue d’une grande table ronde. Ver’Liu présidait visiblement une réunion : une quinzaine de sièges étaient occupés par ses conseillers. Parmi eux, Tel’Ay avisa deux adolescents, qui devaient avoir sensiblement le même âge que Ver’Liu. Le souverain présomptif de Skelor I l’accueillit avec chaleur et sans formalisme, avant de faire les présentations.
Tel’Ay ne tenta pas de retenir les noms de toutes les conseillers. Il se contenta de ceux du clan qui avait recueilli Ver’Liu : les parents, Amo’Kar et Seleniel, l’oncle Lar’Jon et les enfants, Nal’Kia et Sionarel. Un frisson intérieur parcourut Tel’Ay en posant les yeux sur Sionarel. Il émanait clairement d’elle un halo de Force, peut-être révélateur d’un potentiel de Force intéressant. S’il s’y prenait bien, il tenait peut-être là sa future première élève, susceptible de l’épauler pour faire renaître de ses cendres la confrérie de Maal Taniet.

Avec l’arrivée de Tel’Ay et d’Anaria, la réunion dévia de son but originel, qui était d’expédier tant bien que mal les affaires courantes. Le Sith fut prestement nommé responsable de la sécurité : son prédécesseur à ce poste, Gok’Ar Li-Var, fut le premier à le féliciter chaleureusement pour sa promotion. Tel’Ay put lire dans son regard un immense soulagement, et sut que la charge avait été trop lourde pour l’individu.
Il eut droit à un résumé de la situation, qui n’était guère brillante : la station Carolusia ne suffisait d’ores et déjà plus à contenir et gérer l’afflux de réfugiés skeloriens, et les incidents entre Skelors et Zabraks se multipliaient, exacerbés par les meurtres perpétrés par les Archanges de Norkaï. De plus, l’attentat récent avait confirmé que Ver’Liu n’était pas en sécurité en ces lieux.
L’esprit de Tel’Ay se retrouva vite à cogiter furieusement, en vue de trouver un nouvel endroit de rassemblement pour le peuple skelorien. Il eut bientôt une idée derrière la tête. Comme elle nécessitait un certain nombre de préparatifs, il décida d’en faire part le plus tôt possible à Ver’Liu, en privé.

Bien qu’il rechignât à l’admettre, Tel’Ay commençait à être conquis par Ver’Liu. Bien qu’entrant à peine dans l’âge adulte, le jeune Skelor faisait montre d’une maturité, d’un calme et d’un respect envers autrui impressionnants. Nulle trace chez lui d’ivresse du pouvoir, uniquement le désir farouche de servir au moins les intérêts de son peuple. Et Tel’Ay commençait à trouver que tous deux se ressemblaient, par certains côtés. Tous deux occupaient une position de dirigeants et devaient bâtir pas à pas leur communauté, Ver’Liu en tant que roi, Tel’Ay en tant que maître de confrérie Sith. Ver’Liu voulait redonner à son peuple la dignité dont il avait été privé suite à l’invasion zabrak, et Tel’Ay n’avait pour seule ambition que de pérenniser ce que ses propres maîtres lui avaient appris. Réhabilitation, retour aux sources, et regard tourné vers l’avenir.
Il se prit même à penser que la cause de Ver’Liu, nonobstant ses ambitions propres, valait la peine d’être défendue. Il chassa vite ces pensées parasites, pour se recentrer pour son devoir. La seule menace importante était celle de Dark Omberius, pour lui comme pour Ver’Liu. Il devait s’assurer de la sécurité du souverain skelorien, et abattre son ennemi. Une ébauche d’idée lui vint, et il décida de la mettre en œuvre.
Il confia Ver’Liu aux bons soins d’Anaria et quitta le secteur skelorien, désireux de préparer l’avenir le plus tôt possible.

Tel’Ay rencontra l’officier du Carolusia responsable des archives. De là, il eut accès au dossier de la colonie Velinia III. Avant de l’ouvrir, il poussa un long soupir, la tête pleine de souvenirs d’une autre époque.


***

Quand Tchoo-Nachril sortit de la bulle de communication hyperspatiale sécurisée, après avoir reçu pour instruction de la part du Conseil Jedi de protéger Ver’Liu So-Ren par tous les moyens laissés à sa discrétion, il se retrouva nez à nez avec Tel’Ay.
– Quelles sont les nouvelles, Jedi ? demanda ce dernier avec une insouciance feinte.
– Mon rapport est fait, et j’ai reçu mes ordres. Nous allons avoir un problème, Jedi noir.
– De quel genre ?
– Je suis chargé d’assurer la sécurité de Ver’Liu So-Ren.
– Un peu tard…c’est la mission que je me suis moi-même donné, et je viens d’être nommé responsable de la sécurité du roi. Et il n’y a pas de place pour toi dans mon dispositif de protection, conclut-il en souriant largement.
– Je m’en doute. Pourquoi crois-tu que je te dis que nous avons un problème ? Quoi qu’il en soit, ton roi a fait appel à la République, et la République répond en me détachant à son service.
– Te voilà donc de facto placé sous mes ordres, Whiphid ? demanda Tel’Ay, large sourire aux lèvres.
– Ne rêve pas, Skelor.
– Quels sont tes ordres vis-à-vis de moi ?
– Le Conseil est…perplexe, je l’avoue. L’antagonisme entre les Jedi et les utilisateurs du Côté Obscur fait que je devrais te capturer et t’amener au Temple Jedi, voire te tuer si cela s’avérait impossible. Mais comme tu as la confiance de Ver’Liu, te voilà intouchable.
– Conclusion ?
– On m’a ordonné de collaborer avec toi, dans un rôle d’électron libre, habilité à prendre les décisions que j’estimerais nécessaire pour garder ton roi en vie. Je ne dois pas me dresser contre toi, sauf si les circonstances l’exigent.
– Voilà des ordres limpides, ricana Tel’Ay.
– La situation étant elle-même très confuse, j’ai une latitude assez large pour les interpréter.
– J’en prends bonne note, Jedi. Suis-moi, partenaire, fit-il en prenant Tchoo-Nachril par le bras.

Ils entrèrent dans une bulle de communication et Tel’Ay demanda à l’opérateur de la station une connexion vers la colonie républicaine de Velinia III. Il fallut cinq minutes pour qu’apparaisse une silhouette tridimensionnelle, dont l’image tressautait aussi souvent que le son sautait. Tchoo-Nachril reconnut sans peine un Rodien, de constitution solide.
– Salutations, Seperno, fit Tel’Ay.
– Sal…tations, Skelo…, répondit le Rodien. C’est…quel …ujet ?
– La chose est trop délicate pour en parler via holonet. Sache simplement qu’il s’agit de payer ta dette vis-à-vis de Tel’Ay Mi-Nag et Dibidel Rdan-Emqer. A ce titre, j’aurais besoin que tu viennes sur le Carolusia le plus rapidement possible.
Tel’Ay répéta ses paroles quatre fois, afin d’être sûr que son interlocuteur ait bien tout saisi. Il savait ce qu’impliquait la dette en question, et que Seperno viendrait, même son ami ne l’avait pas reconnu, du fait de la qualité médiocre de la transmission.
Après un long silence, le Rodien répondit simplement, avant de couper la communication :
– J’arrive.

– Qui est ce Seperno ? s’enquit Tchoo-Nachril.
– Un vieil ami. Je lui ai sauvé la vie et l’ai accompagné, avec ma compagne, quand il a entrepris de mettre sur pied la colonisation de Velinia III. C’est un être en qui j’ai la plus grande confiance, je lui confierais ma vie sans hésiter. Il me croit mort, suite à une attaque d’esclavagistes survenue il y a plus d’un an. Par la suite, je les ai libérés, lui et les autres colons, mais sans dévoiler que j’avais survécu, car je ne voulais pas que quiconque apprenne que je maîtrisais la Force.
– Et qu’a-t-il à voir avec ton roi ?
– Rien, mais Velinia III pourrait servir de planète de rassemblement pour le peuple skelorien. Le Carolusia n’est pas adapté pour cela.
– Une simple planète coloniale me semble être une cible de choix, surtout si Ver’Liu So-Ren a des ennemis puissants.
– Bah, je connais bien Seperno. Un homme de grande envergure qui s’ignore ! D’après le rapport que je viens de lire, lui et les siens sont retournés sur Velinia III après leur libération, et la colonie est assez florissante. A ses débuts, nous étions moins de cinq cent là-bas. Apparemment, ce chiffre a été multiplié par dix cette année.
– Il n’empêche que la sécurité de ton roi ne sera pas assurée dans un tel lieu. Un autre choix me semblerait plus judicieux.
– Je ne suis pas d’accord. La République ayant décidé de soutenir Ver’Liu, elle sera obligée de prendre les mesures nécessaires pour sa survie. S’il décide de s’installer sur Velinia III, la République fera bien l’effort d’y déployer une flotte, ou au moins un vaisseau capital, tu ne crois pas ?
– Je dois admettre que tu as raison. Et la colonie risque de se développer de manière impressionnante.
– Ses habitants sont des réfugiés, qui ont été chassés de partout avant de s’y installer. Ils ont bien mérité une vie meilleure, et l’arrivée de Ver’Liu et de son peuple va le leur offrir.
– Tu m’étonnes grandement, Tel’Ay Mi-Nag. Je n’aurais pas cru possible d’un adepte du Côté Obscur puisse faire preuve d’altruisme.
– Tu as des amis, Tchoo-Nachril, et moi aussi. Je sais que les Jedi n’hésiteraient pas à sacrifier leurs amis si la paix et la justice devaient en résulter, ce qui n’est pas mon cas. Mes priorités ne sont que celles que je définis.
– Echanger des points de vue avec toi est quelque chose de très intéressant, reconnut le Whiphid. Moi qui ne voyais les adeptes du Côté Obscur que comme des êtres ne vivant que pour faire le mal.
Tel’Ay haussa les épaules :
– Bah, Jedi lumineux ou sombres, nos similitudes me semblent plus importantes que nos divergences. La Force transcende toutes ces catégorisations mesquines.
– Je ne serais jamais d’accord avec une telle généralisation, dit Tchoo-Nachril d’un ton placide qui suggérait qu’il comptait bien en rester là dans ce débat. Après un court silence, Il lâcha une phrase de manière presque anodine :
– Tu as fait mention tout à l’heure de ta compagne. Qu’est-elle devenue ?
– Je l’ai tué, cracha sèchement Tel’Ay Mi-Nag, l’œil dur, avant de tourner les talons.
C’est intéressant, songea Tchoo-Nachril. Une perte tragique, que les enseignements des Jedi auraient pu empêcher si ce Skelor en avait bénéficié…un être qui se dévoue pour ses proches…Se pourrait-il que Tel’Ay Mi-Nag puisse devenir un Jedi un jour ?