Journal de bord du commandant Harlington, coefficient espace-temps 1586,2. Nous sommes presque arrivés à la position occupée par le SS Orcus. ”Notre équipe d’ingénieurs, menée par le lieutenant T’Savhek, se tient à prête à être téléportée sur le cargo afin d’en diagnostiquer les problèmes techniques, même si T’Savhek doute fort que nous puissions y faire quoi que ce soit. L’enseigne Lupescu les accompagnera, en tant que chef de la sécurité. Simple précaution de routine.
Certains membres de l’équipage du SS Orcus ont par ailleurs demandé à venir sur notre propre vaisseau : leur médecin chef, qui va bientôt manquer de certains antibiotiques, ainsi que leur navigateur, désireux d’obtenir des cartes actualisées de cette partie du quadrant. Bien entendu, il serait tout à fait possible de téléporter ces produits et données, mais je comprends parfaitement que nos futurs hôtes aient envie de rompre leur routine en venant nous rendre visite en personne. ”

Sur l’écran principal de la passerelle, le SS Orcus ne tarda pas à apparaître. Il n’était rien de plus qu’un gigantesque parallélépipède pourvu sur son avant d’une passerelle en forme de quart de sphère, et de deux moteurs de belle taille à l’arrière, pour l’heure éteints. Des traces de rouille le constellaient ça et là, et Harlington se demanda depuis combien de décennies il arpentait l’espace.
– Le capitaine Valment du SS Orcus nous contacte, commandant, fit Gork Nimar, l’officier de sécurité suppléant de Lupescu.
Harlington n’avait jamais rencontré de Tellarite avant la mutation du jeune aspirant à bord, et il trouvait fascinant de voir que derrière l’apparence si porcine de cette espèce se cachait une intelligence certaine. La première fois qu’il l’avait rencontré, il s’était attendu à l’entendre couiner et grogner, avant de se morigéner intérieurement : face à l’inconnu, ses réactions primaires n’avaient pas lieu d’être.
– Sur écran, monsieur Nimar.
Harlington faillit sourire en découvrant le visage du capitaine Valment. L’humain qui lui faisait face avait un regard dur, les traits sillonnés de rides profondes, et une barbe poivre et sel qui lui tombait sur la poitrine. Un véritable vieux loup de mer, avec un air plaqué sur le visage qui semblait proclamer « On ne me la fait pas, à moi, je ne suis pas né de la dernière pluie ! ».
– Bonjour, capitaine Valment, je suis Harry Harlington, commandant de l’USS Baltimore. Ravi de faire votre connaissance.
– Moi de même, commandant, grogna Valment, même si j’aurais préféré que ce fût en de meilleures circonstances. En tout cas, merci de vous être donné la peine de vous déplacer.
– Je vous en prie, capitaine. Me ferez-vous l’honneur de monter à bord pour une visite de courtoisie?
– Hum…voilà une offre bien tentante, à vrai dire. Le temps de laisser des consignes très strictes aux babouins qui me servent de subordonnés et je suis à vous ! Valment, terminé.
Large sourire aux lèvres, Harlington hocha la tête et fit signe à Nimar de couper la communication. Valment semblait assez pittoresque. Harlington était curieux de savoir si Sanders viendrait à la rencontre de ce personnage. Il ne l’avait plus vu depuis son incursion sur la passerelle, deux jours plus tôt, ce qui n’était pas pour lui déplaire.

Quand Harlington entra dans la minuscule salle de téléportation du bâtiment, son équipe d’ingénieurs était déjà partie à bord de l’Orcus. L’aspirant Kimiko Heitashi, petit bout de femme à l’expression espiègle, de la section sécurité, y attendait l’arrivée du navigateur de l’Orcus afin de le guider jusqu’à la passerelle, où ils auraient accès à la cartographie la plus récente de Starfleet concernant cette zone de l’espace. Deux autres membres de l’équipage étaient présents : Venamir Inriek, membre de la section pilotage/navigation, Zaldan aux doigts palmés et au caractère entier, présentement installé à la console de téléportation, et Thif, l’infirmier de bord, et adjoint de Sulok.
Harlington n’enviait pas ce dernier dans ce rôle, car non seulement il soupçonnait Sulok de pousser son subordonné au-delà de ses limites, avec le sens du perfectionnisme inhérent aux Vulcains, mais Thif était en outre Andorien… L’inimitié entre leurs peuples respectifs ne datait pas d’hier, même si les deux faisaient partie des espèces fondatrices de Starfleet.

Inriek manipula des boutons de la console, et le scintillement caractéristique du rayon téléporteur se fit entendre. Sur l’unique plot de téléportation, trois silhouettes humaines firent leur apparition tour à tour. Le premier à descendre de l’estrade fut le capitaine Valment. Harlington constata que l’homme marchait pesamment et qu’il lui arrivait à peine à l’épaule.
– Bienvenue à bord, capitaine Valment.
– Merci, commandant. Voici Preston et Vintizen, deux de mes officiers de bord.
– Enchanté, messieurs. Me ferez-vous l’honneur d’une visite de la passerelle, capitaine ?
– A vrai dire, je préférerais de loin jeter un œil de convoitise sur votre salle des machines, si vous n’y voyez pas d’inconvénient. – Dans ce cas, suivez-moi, fit Harlington en souriant.
Finalement, c’était Sanders qui avait eu raison, commençait-il à croire : avoir des invités permettait de casser la routine à bord. Tandis que ses officiers prenaient en charge ceux de Valment, il conduisit son homologue civil vers leur destination.

La salle des machines était occupée par l’aspirant Mitchell, désigné par T’Savhek pour y faire acte de présence pendant que toute l’équipe d’ingénieurs du Baltimore se trouvait sur l’Orcus. Les trois hommes ne furent pas longs à deviser gaiement.
– Je peux ? demanda Valment au bout d’un moment, en montrant du doigt un hublot donnant sur la chambre intermix du réacteur.
– Je vous en prie, fit Harlington.
L’événement qui suivit fut beaucoup trop rapide pour que Mitchell ou Harlington puissent réagir. Alors qu’il semblait fasciné par le spectacle qui lui faisait face, Valment fit brusquement volte-face. Dans sa main, un phaseur miniature pointé sur eux…
– Mais que…commença Harlington.
– Silence ! coupa Valment avant de sortir un communicateur de sa poche. Preston, Vintizen ?
– Passerelle sous contrôle, équipage paralysé, répondit le dénommé Vintizen.
– Idem en ce qui concerne l’infirmerie, assura Preston.
– Parfait ! Vintizen, infiltre-toi dans la console de sécurité et verrouille toutes les portes du Baltimore : nous devons piéger le reste de l’équipage.
– Je ne peux pas, il me faut le code d’accès d’un officier supérieur pour cela.
– Ne quitte pas, répondit Valment avant de se retourner vers Harlington.
– Commandant, je n’ai pas beaucoup de temps. Vous l’aurez compris, je prends le contrôle de votre navire. Le code, je vous prie ?
Sous le coup de la surprise, Harlington mit quelques secondes à réagir, avant de rétorquer :
– Mais à quoi est-ce que vous jouez ?
– Mauvaise réponse, dit Valment.
Le capitaine du cargo pointa son phaseur en direction des jambes de l’aspirant Mitchell et tira. Le genou du responsable de la logistique explosa, et il s’écroula à terre en hurlant.
– La prochaine fois, je vise la tête ! Le code, vite !
Harlington n’hésita pas et donna son code d’accès, indifférent aux conséquences et surtout désireux de gagner du temps. Quand il voulut s’assurer de l’état de Mitchell, qui se tenait la jambe et affichait un masque de souffrances, Valment l’en dissuada, en secouant la tête et en le menaçant de son arme.
– Je dois m’assurer qu’il ne va pas se vider de son sang, insista Harlington en se baissant tout de même.
– Aucun risque, jeune homme, mon phaseur est réglé sur une puissance intermédiaire et le tir n’a pas traversé.
Le jeune sous-lieutenant se demanda avec anxiété si certains de ses subordonnés avaient été tués lors de cette prise de contrôle, notamment l’équipe envoyée sur l’Orcus. Dans le communicateur du pirate, la voix du dénommé Vintizen se fit à nouveau entendre : – C’est bon, je suis entré dans les systèmes.
– Bien, répondit Valment. Verrouille toutes les portes du vaisseau, à l’exception de celle qui ouvre sur le local technique J-27, et éteins l’intercom.
– C’est fait.
– Valment à Orcus, comment ça se passe ?
– Aucun souci à déplorer. L’équipe du Baltimore est sous bonne garde.
– Parfait, envoyez-nous les renforts.
Il coupa la communication et, montrant le local technique ouvert derrière Harlington, lui dit :
– Commandant, si votre camarade et vous voulez bien vous donner la peine…
Harlington attrapa Mitchell sous les aisselles et se mit à le traîner vers le local.
– Qu’est-ce que c’est que ce cirque ? Qu’est-ce que vous comptez faire ?
Valment le regarda avec une lueur farouche dans les yeux, et finit par lui répondre :
– Mes hommes et moi sommes des anciens de Starfleet, dont les carrières ont été brisées à cause de fausses accusations d’erreurs et d’incompétence.
– Et qu’espérez-vous en prenant le Baltimore ?
– Rien du tout, commandant. Une seule personne nous intéresse à bord : l’amiral Sanders.
– Mais…pourquoi lui ?
– Parce que tout est de sa faute, cracha Valment. A un moment ou à un autre, nous avons tous servi sous ses ordres, directement ou non, et il nous a fait renvoyer pour masquer ses propres erreurs, parfois dramatiques. Aujourd’hui, il va payer pour cela !
Pendant cette conversation, Harlington était parvenu à tirer Mitchell à sa suite, jusqu’à entrer dans le local technique. Le pauvre aspirant ne dit pas un mot, en état de choc.
– Starfleet ne vous lâchera pas, vous devez en avoir conscience, Valment.
– C’est la grande différence entre d’un côté mes hommes et moi, et de l’autre l’amiral Sanders : nous, nous assumons nos actes. Je n’ai rien contre vous ni contre votre équipage, Harlington. Nous allons ramener à bord votre équipe prisonnière sur l’Orcus, saboter votre antenne subspatiale et partir avec l’amiral…ainsi qu’avec vos cristaux de dilithium.
Harlington sentit la pression qui l’étreignait baisser légèrement. Sans antenne subspatiale, impossible de communiquer avec qui que ce soit, et sans cristaux de dilithium, pas d’accès à la vitesse de distorsion. Heureusement, si Valment avait dit vrai, ils seraient tous en vie. Sauf si certains acolytes avaient la détente aussi facile que leur chef, ou si l’un de ses propres hommes avait tenté un baroud d’honneur.

Valment verrouilla la porte du local, enfermant Harlington et Mitchell pour le coup.