L’amiral Nogura avait fait en sorte que la diffusion du pseudo-procès de l’amiral Sanders soit la plus limitée possible, contrairement à ce qu’avaient prévu ses ravisseurs. Le gratin des équipes techniques de Starfleet était parvenu à intercepter le signal de diffusion et à le brouiller, et seuls les membres de l’État-Major, à nouveau réunis, en avaient la primeur.

Nogura était révolté par les accusations proférées par les ravisseurs, d’anciens officiers de Starfleet. Remettre ainsi en cause la plus haute émanation de la Fédération des Planètes Unies était inadmissible, même si une part de lui n’avait aucun mal à croire les griefs prononcés par les insurgés à l’encontre de l’amiral Sanders.

Stelek, l’amiral Vulcain en charge des Services Secrets de la flotte, ne bouillonnait intérieurement pas moins que son supérieur. Il ne quittait pas des yeux la vidéo tridimensionnelle du « procès », et plus particulièrement le visage impassible de Sanders. Il ne pouvait s’empêcher d’éprouver de l’admiration pour son collègue, traîné dans la boue et placé dans l’impossibilité de se défendre.
Car ce que l’État-Major ignorait, y compris Nogura, était que Graham Sanders, sous le couvert d’être en charge de la Zone Neutre Romulienne, était en fait à la tête d’une section des Services Secrets qui n’apparaissait même pas dans l’organigramme de l’organisation.
Cette section, les Opérations Spéciales, était chargée de toutes les besognes inavouables de Starfleet, et jouait un rôle important dans certaines opérations de propagande. Seul l’amiral à la tête des Services Secrets, ainsi que le Président de la FPU lui-même, étaient au courant de l’existence de cette entité cachée.

Stelek était empli de compassion pour Sanders : les ravisseurs annonçaient leur version des faits, leur vérité, mais toutes leurs accusations se basaient sur des erreurs d’interprétation… qui ne pouvaient être rectifiées. Ni officiellement, ni même officieusement.
Sanders allait être tué, Stelek en était persuadé. Mais il le serait pour de mauvaises raisons.

  • *


Graham Sanders n’avait que du mépris pour ses accusateurs. Ceux-ci n’étaient que des enfants, qui ne connaissaient que la surface des événements qu’ils lui lançaient à la figure, et au cours desquels il avait soi-disant agi de manière inhumaine.

– Moi, Rupert Valnius, je vous accuse d’avoir démis mon père Franz de son commandement, et de l’avoir muté sur la planète-jungle d’Essonex III, où il a participé à une mission qui s’est avérée être suicidaire, car j’ai mené mon enquête, et aucune équipe de secours n’était prévue pour récupérer le petit commando que vous y avez envoyé !
Pauvre imbécile, pensa Sanders. Ce que tu ignores, c’est que ton frère était aussi un trafiquant de drogues, et que je l’ai placé devant l’alternative suivante : voir ses agissements révélés au grand jour, être dégradé et emprisonné ; ou aller mourir sur Essonex III, se sacrifier pour anéantir la base de généticiens qui y élaboraient des neurotoxines mortelles. Ainsi, son nom et son honneur seraient préservés, et sa veuve toucherait une pension. On en a fait un héros !

– Moi, Elronn Hunter, vous accuse d’avoir fait abattre l’USS Vancouver, tuant ses quatre cents membres d’équipage par la même occasion, sans leur avoir laissé la chance de résoudre le problème médical auxquels ils étaient confrontés.
Pauvre crétin, j’étais en communication permanente avec leur médecin qui, bien qu’éminent membre de l’Académie de Médecine de Vulcain, m’a avoué son impuissance à combattre le virus mortel qui décimait l’équipage. C’est lui-même qui m’a recommandé, en dernier recours, de détruire le navire, pour faire cesser la propagation du virus !

– Moi, Til’Marinn Amonn, vous accuse d’avoir harcelé mon mari, qui commandait l’USS Vigo. Vous avez passé deux mois à son bord, ne manquant pas à tout instant de le critiquer en public et de miner son autorité et sa position, jusqu’à ce que cédant à la pression, il se suicide. A la suite de quoi vous avez quitté le bord sans une once de remords, et sans un regard en arrière ! Malgré mes efforts, aucune cour martiale n’a daigné vous condamner pour ce forfait abject !
Et si je te disais que ton mari avait une maîtresse klingonne, à laquelle il avait transmis des informations classées secret-défense, mais qu’il avait été assez malin pour détruire toute preuve directe l’incriminant ? Ce n’était que grâce à l’un de nos prisonniers klingons que j’avais su la vérité, et nos sérums de vérité avaient confirmé son histoire. Malheureusement, ce genre de données n’était pas acceptées dans le cadre d’une cour martiale, d’autant que le prisonnier klingon était au secret car détenteur de beaucoup d’informations explosives. Il fallait mettre ton mari hors d’état de nuire…



Graham Sanders supporta sans broncher une quinzaine de témoignages de cet ordre, tout en continuant à y répondre mentalement, point par point. Il n’était pas fier de ce qu’il était, ni de l’image qu’il renvoyait à autrui, mais si ses méthodes semblaient peu orthodoxes, elles demeuraient nécessaires. Il faisait le sale boulot, car il fallait que quelqu’un le fasse. Discrètement, sans se plaindre, et étant certain de laisser rancœur et haine dans son sillage. Ses pairs de l’État-Major ne l’aimaient pas, mais le défendraient par principe. Seul l’amiral Stelek connaissait réellement tous les sacrifices auxquels il avait consenti… mais pas plus que lui-même, il ne pourrait avouer la vérité à quiconque.

  • *

Le Baltimore quitta la vitesse de distorsion non loin de l’ancien astéroïde minier, portant sur leurs cartes le nom d’Aldataïr-235.
– Levez les boucliers, phaseurs en batterie, ordonna Harlington par-dessus l’alarme tonitruante. Et coupez-moi cette fichue sirène, j’aimerai encore pouvoir me servir de mes tympans à l’avenir !
Garcia manœuvra lentement le Baltimore pour le mettre en orbite autour d’Aldataïr-235, tandis qu’à côté de lui, Lupescu était prêt à se servir des armes du vaisseau en cas de menace.
– Je détecte trois vaisseaux en approche, commandant, annonça calmement T’Savhek. Ils sont en train de contourner l’astéroïde.
– Ouvrez une fréquence.
– C’est fait, commandant.
– Ici le lieutenant Harry Harlington, de l’USS Baltimore. Rendez-nous l’amiral Sanders, ou nous venons le chercher.
– Je reçois une réponse, commandant.
– Sur écran.
Le visage buriné du capitaine Valment apparut, entouré de ce qui ressemblait fort à une passerelle de vaisseau.
– Je ne m’attendais pas à vous voir, Harlington. Bravo, belle opiniâtreté. Mais cela ne changera rien au sort de l’amiral Sanders. Faites demi-tour ou vous mourrez !
Harlington allait répliquer quand une explosion secoua le vaisseau. Lui-même n’évita de se retrouver à terre qu’en agrippant les accoudoirs de son fauteuil.
– Rapport ! lança-t-il après fait signe à T’Savhek de couper la communication.
– Il semblerait que nous ayons heurté une mine, monsieur. Nos boucliers tiennent le coup.
– Comment se fait-il que vous ne l’ayez pas détectée avant ?
– Je pense qu’elle était occultée, monsieur. Il est probable qu’il y en ait d’autres.
– On n’a pas le temps de s’en occuper. Surveillez les trajectoires de nos trois amis : ça nous fera autant de routes sûres si nous parvenons jusque-là.
– Ils convergent sur nous, commandant ! annonça Garcia.
– À quel type de vaisseaux avons-nous affaire ?
– Des frégates de type Lunpaar, monsieur. Ils nous sont inférieurs en tous points… mais ils sont trois.
– Commandant, intervint Lupescu, deux d’entre eux suffirrraient à avoirrr rrraison de nous.
– Choisissez-vous une cible, Lupescu, et feu à volonté !

Lupescu ne se fit pas prier et envoya plusieurs salves de phaseurs sur la frégate du milieu, ce à quoi les trois vaisseaux répondirent sur-le-champ. Alors que les boucliers de la frégate allaient lâcher, les deux autres se postèrent devant pour la protéger, et recommencèrent à tirer sur le Baltimore. Harlington nota que Garcia n’était pas un mauvais pilote du tout, et qu’il parvenait à éviter un nombre non négligeable de tirs. Mais il sut aussi que cela ne suffirait pas.
– Nos boucliers sont en surrrchauffe, commandant, cria Lupescu. Encorrre deux voirrre trrrois coups au but et nous n’en aurrrons plus !
– Garcia, vitesse d’impulsion maximale ! Lupescu, lancez le rayon tracteur sur l’appareil de tribord !
– La Boucle de Jericho, monsieur ? demanda Garcia, impressionné.

Valment en avait vu d’autres, et le jeune lieutenant qui lui faisait face ne l’impressionnait guère. Le peu d’estime qu’il avait pour son adversaire fut confirmé quand le rayon tracteur du Baltimore se verrouilla sur l’une des frégates latérales, et que le vaisseau de Starfleet prit de la vitesse.
– Pauvre imbécile, marmonna Valment, j’ai servi sous les ordres de Jericho, je connais toutes ses astuce. Ces jeunes commandants n’ont vraiment aucune imagination…
Tout haut, il annonça :
– Préparez-vous à tirez sur la position 5.1.2, il va incurver sa trajectoire par ricochet.

– Attention, tenez-vous prêts, fit Harlington, tendu. Lupescu, vous allez lancer trois torpilles à photons sur notre prisonnier à mon ordre. Dès que ce sera fait, vous couperez le rayon tracteur. Maintenant, feu !
Quatre secondes plus tard, Lupescu en avait terminé. La frégate, prise dans le rayon tracteur, fut incapable d’esquiver les torpilles, et ses boucliers ne résistèrent pas à ce tir groupé. Elle partit à la dérive.
Quant au Baltimore, il fila droit vers l’astéroïde dès que le rayon tracteur, coupé, eut cessé de le rabattre vers les frégates. Valment avait compté sur une Boucle de Jericho classique, mais Harlington ayant changé de stratégie en plein milieu de son application, les tirs anticipés des frégates ratèrent largement le vaisseau.
– Faites le tour de l’astéroïde, monsieur Garcia. T’Savhek, profitez-en pour le sonder, je vous prie. Salle des machines, rapports d’avarie ?
– O’Connor au rapport, monsieur. La mine a provoqué une décompression, mais nous avons scellé hermétiquement les compartiments atteints. Nous travaillons activement à rétablir la puissance des boucliers. Ils sont à 40% pour l’instant, monsieur.
– Merci, enseigne. T’Savhek, que font les deux frégates qui restent ?
– Elles restent sagement de l’autre côté d’Aldataïr-325, monsieur.
– Bien. On y retourne. Que tout le monde soit plus vigilant que jamais.
Deuxième round, pensa-t-il…