Après l’atterrissage du Baltimore, T’Savhek et Harlington se téléportèrent dans le monde souterrain des Soffrés, à des coordonnées que Jingkler leur avait indiquées.
Pris en charge par des gardes soffrés, ils furent séparés. Harlington fut amené dans une vaste caverne aux murs couverts d’immenses tapisseries. Un long banc surélevé et peint en blanc occupait un pan de mur face à lui. Deux silhouettes y étaient assises : Jingkler et Sender, les respectivement Maître de la Loi et Grand Prêtre des Soffrés.
D’un signe du premier nommé, les gardes se retirèrent. Harlington était seul avec les deux dirigeants locaux. Il s’appliqua à rester impassible tandis qu’il étudiait la situation : une simple volée de marches le séparait des deux autochtones. Peut-être pouvait-il se ruer sur eux et en maîtriser un pour le prendre en otage ?
Il abandonna vite l’idée. Il ne connaissait rien de la force physique des Soffrés mais avait tout à fait conscience de ses propres limites en combat rapproché et en réflexes. Son entraînement quotidien avec le lieutenant Lupescu, chef de la sécurité du Baltimore et expert en combat à mains nues, lui avait démontré plus qu’il ne l’aurait souhaité ses lacunes en la matière.

– Vous voilà désormais devenu un assassin, étranger, fit Sender. Vous êtes fier de vous ?
– Comment ça, un assassin ?
– Vous avez amené un Soffré à la surface, signant ainsi son arrêt de mort. Saint Larka créa Soffré et il dit : « La surface sera sacrée, nul autre qu’un dieu ne sera digne de la fouler». Et il offrit les profondeurs au peuple de Soffré, qu’il avait créé.
– Vous ne pouvez quand même pas croire que c’est par la volonté de votre dieu qu’Emgpé est mort ? Il y a forcément une explication rationnelle !
– Nous sommes le peuple élu de Saint Larka. Obéir à ses commandements nous maintient en vie car il veille sur nous. Et il punit de mort les hérétiques qui osent douter de sa parole divine.
– Mes hommes et moi avons survécu à la surface, or… comment avez-vous dit ? La surface sera sacrée, nul autre qu’un dieu ne sera digne de la fouler ? Cela ne devrait-il pas faire de nous des dieux ?
– Silence, maudit ! hurla Jingkler. Seuls les Grands Prêtres ont les capacités reconnues pour interpréter les paroles de Saint Larka ! Es-tu un Grand Prêtre, chien d’étranger ?
Harlington fut surpris de la véhémence du ton, et Sender aussi au vu du regard qu’il coula vers son collègue.
– Paix, Jingkler, fit le Grand Prêtre. Je respecte les lois de Saint Larka à la lettre, étranger. Je précise ses pensées si besoin est, avec l’humilité qui doit être mienne face à la grandeur de mon dieu. Il est perfection, je suis imperfection, même si l’on me considère comme son relais sur Soffré. Et je dois avouer que ton argument ne manque pas de pertinence. Je le tourne et le retourne dans ma tête depuis que les premiers étrangers sont arrivés.
Jingkler se leva brusquement.
– Tu plaisantes, j’espère ? À moins que tu ne sois en train de devenir un hérétique à ton tour ?
– Rassieds-toi, Jingkler. Toutes les hypothèses doivent être étudiées avec lucidité. Certaines peuvent s’accorder avec nos enseignements divins. D’autres, non. Il est de mon devoir de Grand Prêtre de décider si la Loi doit évoluer.
Jingkler fusilla longuement du regard le visage calme de Sender, mais il finit par se rasseoir quand Harlington reprit la parole.
– Auriez-vous changé d’avis ? Envisagez-vous de nous rendre la liberté ?
– Cela fait partie des possibilités, je me dois de l’admettre après y avoir mûrement réfléchi.
– C’est une bonne chose, avança prudemment Harlington.
– Je ne pense pas, non, rétorqua Jingkler en se levant à nouveau. Soffré n’a connu qu’un seul dieu… et je serai le deuxième !
Il sortit un phaseur de la Fédération de sous sa toge et tira à bout portant sur Sender, qui s’effondra dans un grognement de douleur. Harlington n’eut pas le temps de réagir et se contenta de recueillir Sender dans ses bras quand celui-ci chut au bas des marches.
Le Grand Prêtre était immobile. Une tache noirâtre ornait le milieu de son front, à l’endroit où Jingkler avait tiré. Harlington était décomposé. Au moment où l’un des deux dirigeants des Soffrés s’avérait être un allié potentiel, voilà qu’il se faisait abattre !
– Pourquoi ? demanda Harlington d’une voix blanche à Jingkler. Et pourquoi parlez-vous de devenir un dieu ?
– Je vais devenir un dieu car je ne crois pas à la religion ! Ma famille est en charge de la Maîtrise de la Loi depuis des décennies et à ce titre, elle contrôle beaucoup de choses. Mon bisaïeul a décidé un jour que la religion était obsolète. Vous avez cité la bonne phrase, étranger : La surface sera sacrée, nul autre qu’un dieu ne sera digne de la fouler. Vous comprenez ce que cela veut dire ? Le jour où un Soffré pourra mettre le pied à la surface et y survivre, il sera devenu l’égal d’un dieu et pourra régner sur son peuple ! Voilà le but que ma famille poursuit depuis plusieurs générations !
– Je n’y comprends rien, avoua Harlington.
– C’est pourtant simple, imbécile ! Il y a quelque chose dans l’atmosphère qui est mortel pour les Soffrés. Nous ne sommes en sécurité que sous terre. Mais depuis maintenant soixante ans, ma famille fait travailler dans le grand secret des scientifiques de haut vol en vue de percer le mystère qui nous tue en surface. Le jour où ce danger mortel sera écarté, je marcherai à la surface et mon peuple me considérera comme un dieu !
– Mais comment l’air de la planète peut-il vous tuer ?
–Le corps des Soffrés réagit violemment face aux radiations cantarènes, véhiculées par les vents solaires et qui frappent Soffré. Ces émissions étant stoppées par la surface de la planète, nous pouvons vivre sous terre. C’est depuis qu’elle sait qu’il existe des êtres sur d’autres planètes que ma famille a décidé de rejeter nos croyances. Nous aussi voulons explorer les étoiles !
– Je peux comprendre ça. Mais pourquoi avoir tué votre ami ? Et pourquoi avoir œuvré en secret ? Songez que si vous rendiez publiques vos recherches, vous seriez un héros ! Vous seriez le Soffré qui a offert l‘immortalité à son peuple !
– Mais je compte bien l’être, sourit Jingkler. Il faudra juste que mes chers compatriotes en payent le prix. Et je sais déjà qu’il sera cher… très cher !
– Quelle que soit la planète ou l’espèce, les ordures sont toujours les mêmes, bougonna Harlington. Qu’allez-vous faire de moi ? – Sender a été tué par une de vos armes. Je vais donc vous accuser de l’avoir assassiné… après vous avoir tué à votre tour, bien sûr. Vous avez juste eu le droit à l’explication du condamné à mort.
– Jingkler, vous n’êtes qu’une pourriture qui ne mérite ni son rang ni même de vivre ! Mais heureusement, votre vie touche à sa fin !
– Que voulez-vous dire ? demanda Jingkler en resserrant son emprise sur le phaseur.
– Vous vouliez apporter un nouveau mode de vie à vos compatriotes, tout en les dirigeant en tyran ? J’ai une mauvaise nouvelle pour vous : avant de revenir, j’ai activé l’autodestruction de mon vaisseau. Quand il explosera, il emportera avec lui la voûte de votre monde souterrain. Et tous les Soffrés mourront.
– Mensonges !
– Vous serez le dieu des morts, le Soffré qui a creusé la tombe de tout son peuple !
Jingkler écumait désormais de rage, et il leva le phaseur vers Harlington.
– Silence, vermine !
– Tuez-moi et vous condamnez votre peuple, reprit Harlington, imperturbable en surface mais très agité en son for intérieur. Vu l’état de fébrilité de Jingkler, Harlington se demanda s’il n’avait pas poussé le bouchon un peu loin. Le Soffré avait-il une maîtrise de soi suffisante pour ne pas craquer… ni tirer ?
La réponse était non. Harlington s’en rendit compte quand Jingkler lui tira dessus avec le phaseur. En pleine poitrine. À moins de cinq mètres. Nul ne pouvait espérer y survivre. Le corps de Harlington fut projeté en arrière. Le lieutenant de Starfleet eut l’impression d’avoir été écrasé par une navette. Et ce fut le néant…