XXVI

 

 

    Heureusement pour Hoyddings, Zavid est patraque. Elle ne relève même pas qu’il vient de la frapper, par contre elle se relève elle-même littéralement. Aussitôt, elle est entourée par l’équipe d’Hoyddings, qui rivalise d’imagination pour gagner ses bonnes grâces :

    – Vous voulez un dopraline ?

    – Un k-fée bien serré ?

    – J’appelle un speeder-ambulance ?

    – Un petit massage aux huiles essentielles d’Olivargan ?

    – Ou aux huiles superflues de Planèteville ?

    – FERMEZ-LA TOUS !

    Je suis sûr qu’à ce moment, le cœur du désert le plus aride et reculé d’Akkaris est plus bruyant que la pièce où nous nous trouvons.

 

    – Ici Cirederf Nomis, envoyé spécial d’Empire Actualités, en direct de P’oilad-e. J’ai à mes côtés un… charmant lieutenant des SSI dont, pour des raisons évidentes de sécurité, je tairai le nom et que je ne filmerai pas. Elle semble avoir la proie d’une lâche agression. Alors, lieutenant, que s’est-il passé ?

    Ce n’est qu’à ce moment que je me rends compte que je n’ai pas réfléchi et juste réagi d’instinct, comme le redoutable journaliste impartial d’État que je suis. Et tandis que mon Ipadphone enregistreur est pointé sur Zavid, je prie pour qu’elle ne suive pas son propre instinct et me découpe le bras en dix-huit morceaux, en le frappant deux fois. C’est une tueuse, elle en est forcément capable !

    Pourtant, elle n’a pas l’air d’avoir complètement repris ses esprits. Ouf, je vais peut-être encore survivre à cette douloureuse épreuve !

    Elle rajuste le col de sa tenue moulante en latex, sort son nécessaire de maquillage, escamote sa bosse, se remet du gloss tout noir et se recoiffe, avant de s’exclamer :

    – Ah, zut ! Ça ne sert à rien que je me fasse belle pour une interview ! Je suis des SSI, je dois rester discrète, pas question d’être filmée.

    Je la sens si malheureuse de rater le moment de passer à la postérité que je l’encourage :

    – C’est pas grave. Je peux toujours vous filmer et vous laisser l’enregistrement pour vos archives personnelles. Vous pourrez le montrer à vos petits-enfants…

    … que vous n’aurez jamais vu que vous n’aimez pas les hommes, que je rajoute in petto. Il y a des paroles qu’il ne vaut mieux pas prononcer à haute voix.

    – Oui, je compte bien en avoir un jour, dit-elle, pensive. Il me faut juste trouver un donneur qui en soit digne.

    Et là, elle plante ses yeux sur moi, aussi sûrement qu’elle y planterait une vibro-lame. Je déglutis nerveusement. Faire des trucs avec cette folle ? Si ça se trouve, elle a des mantes religieuses dans son ascendance, genre qui bouffent les mâles après le coït. D’un autre côté, je bombe le torse : mes prouesses sexuelles sont connues et reconnues à travers tout le Centre Galactique, au minimum. Elle serait à peu près sûre d’engendrer un surhomme grâce à mon patrimoine génétique hors du commun. Qui sait, peut-être même que je peux gommer le traumatisme que Flocoche lui a laissé, et la faire revenir du bon côté de la barrière ?

    Là elle me dit, les yeux dans les yeux :

    – Bon, c’est pas ici que je trouverai ce qu’il me faut. On se la fait, cette interview ?

    Garce ! Traînée ! Tu ne sais pas ce que tu perds ! Et puisque c’est comme ça, tu ne le sauras jamais, na !

    – Ouaip, on va faire ça, que je dis froidement. Alors, lieutenant Zavid, comment un agent surentraîné des SSI a réussi à se prendre une branlée, comme le premier lapin nain de trois semaines venu ? Je vous aurais crue plus douée que ça ?

    Oh non, mes nerfs viennent encore de lâcher ! Si elle s’énerve…

    Mais non, elle reprend, après avoir réfléchi :

    – Je n’ai rien vu venir. L’ennemi a surgi de nulle part et hop, il me faisait face ! Kiki a voulu lui sauter dessus, mais l’être a tendu la main vers lui et là, l’impossible s’est produit : Kiki s’est assis et lui a tendu la papatte !

    – Hoy ! intervient qui vous savez. Je ne connais qu’une sorte d’humanoïdes capables de mater les pires prédateurs de la galaxie d’un seul geste : les redoutables Domtpeurs, de la planète Arcobat !

    – La ferme, toi, c’est mon interview ! fait Zavid, l’œil noir.

    Il se fige et elle ajoute à mon intention :

    – Oui… C’est forcément un Domtpeur… euh… leurs qualités sont bien connues, ils… Tu sais quoi sur eux, Hoyddings ?

    – Comme je l’ai dit, ils peuvent se faire obéir de n’importe quel animal, hoy ! Hoy ! Mais si vous ne l’avez pas vu avant qu’il entre en action, c’est qu’il portait une tenue d’invisibilité.

    – Comme Parry Hotter ? que je demande.

    Hoyddings me lance un regard méprisant :

    – Je ne parle pas d’un personnage de fiction. Parmi les Domtpeurs, il existe une caste d’assassins très efficaces. Et ils portent tous une cape en cacaméléon, ce qui leur permet de se fondre discrètement dans n’importe quel environnement.

    Il existe tant de races bizarres dans la galaxie. Vivement qu’on les ait toutes éradiquées, afin qu’il ne reste que la seule qui vaille, la race humaine. Mais bon, vu leur nombre, je suppose qu’il va falloir attendre un bon bout de temps avant que la galaxie soit remise dans le bon sens et qu’on les ait tous parqués dans des zoos.

    – Et que s’est-il passé ensuite ? que je demande à Zavid.

    – J’étais tellement abasourdie qu’il ait mis Kiki hors d’état de nuire que j’ai baissé ma garde. Il a sorti un gourdin de sous sa cape et m’a donné un gros coup à la tête avec, avant que j’ai eu le temps de réagir.

    Je cherche un mot gentil pour la consoler, mais vu qu’intérieurement je suis en train de me moquer d’elle tellement elle a été nulle, rien ne vient.

    Et puis bon : la compassion, c’est pour les faibles.

    – KIKIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII !

    Le hurlement que Zavid vient de pousser soudain me laisse des bourdonnements dans les oreilles. L’écran de mon Ipadphone se fissure, et quatre vitres explosent.

    – Il n’est plus là ! Il a été enlevé ! Il faut le sauver !

    Jamais je n’ai vu Zavid dans un tel état. Tous autant qu’on est, on se tait. Elle s’attend à quoi ? Qu’on lui propose nos services pour l’aider à retrouver ce sale monstre de sale bête ? Qu’il crève ! Et qu’elle s’en aille courir après le Domtpeur si ça l’amuse, comme ça ça nous fera des vacances. De toute manière, la mission Flocoche étant terminée, je prends conscience avec un certain bonheur que je vais enfin pouvoir regagner Planèteville !

    Et je le répète, tant pis pour l’interview de la cunicultrice ! J’ai besoin de vacances… de très longues vacances !

    Zavid prend une grande inspiration pour se calmer. Elle s’approche d’une des cages vides de la pièce, dégaine son fouet-laser à la vitesse de la lumière puis le remet à sa ceinture. Face à elle, les barreaux de la cage en acier mouillé – ou quelque chose comme ça – tombent à terre, découpés en allumettes.

    Se souvenant de notre présence, elle redevient elle-même :

    – Au rapport, tout le monde ! Vous avez sauvé Flocoche ?

    – Hoy ! C’est-à-dire que…

    – Je vois : ça veut dire non ! Évident, vu qu’il n’est pas avec vous. Que s’est-il passé ?

    – Nous avons attaqué et tué les Tarpézistes qui le retenaient, mais il n’était nulle part. Les Tarpézistes n’ont pas eu le temps d’avouer où ils l’ont envoyé.

    – VOUS ÊTES UNE BELLE BROCHETTE D’INCOMPÉTENTS ! qu’elle hurle.

    Ils reculent tous en se cachant derrière Hoyddings et moi, malin, je fais un pas de côté, histoire de bien montrer que je ne suis pas avec eux. Je me suis juste laissé entraîner dans cette improbable mission. Bref, je ne suis qu’une victime innocente, voilà ce que je montre subtilement par mon attitude neutre.

    Je pense que Zavid manque de subtilité, elle. Plutôt que d’arriver à la même conclusion que moi, elle me défonce la mâchoire d’un coup de poing. Elle montre néanmoins une once d’humanité en me disant, tout en haussant les épaules :

    – Il fallait que je frappe quelqu’un et tu étais le seul à ma portée.

    Étrangement, ça ressemble presque à des excuses.

    – Bon, on se divise en deux groupes. Hoyddings, toi et tes gars vous allez retourner sur la piste de Flocoche. Au boulot !

    – Hoy ! Hoy ! dit Hoyddings en courant déjà vers la porte avec ses hommes. Opération « Sauver Flocoche, acte II » !

    Me voilà désormais seul avec Zavid. Je prends mon courage à deux mains afin de lui faire mes adieux, lui souhaiter une bonne continuation, que je rentre à la maison, toussa, mais elle me fait :

    – Nous, on part à la recherche de Kiki !

    Hein ? Quoi ? Ça va pas, non ? Moi, risquer ma peau pour cette saloperie de bestiole ?

    – Mon pauvre chatounet, qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?

    J’ai un bref doute, n’ayant pas le sentiment qu’on parle du même animal.

    – En avant, Nomis !

    Mes yeux tombent sur les restes de la cage qu’elle a réduite en miettes, et je réponds, avec un entrain que je suis loin de ressentir :

    – Oui, Kiki ! Bouche pas, on arrife !

    Aïe. Le coup de poing de Zavid semble avoir fait plus de dégâts que je ne le pensais de prime abord.