XXXIX

   

 

    [ note de l’auteur : enfin on arrive au chapitre XXXIX, avec toutes ses implications, y compris culturelles, à partir du prochain chapitre. Car naturellement, pondre autant de chapitres pour mon histoire tout en les notant en chiffres romains est aussi une manière pour moi d’apprendre les chiffres jusqu’à… chut, gardons la surprise. Et comme l’auteur il est trop sympa, il permet aussi à ceux qui ne connaissent pas lesdits chiffres romains de se cultiver avec lui. Elle est pas belle, la vie ? ]

 

 

    – On se barre, Nomis ! fait Zavid en m’empoignant par le col.

    De l’autre main, elle traîne déjà Snaf Snof, son chèque géant entre les mains, sourire extatique sur les lèvres. Quand il reprend ses esprits, il me dit :

    – Merci ! Merci beaucoup, Nomis ! Sans toi je n’aurais pas gagné la course, c’est émouvant, snif ! Tiens, pour te remercier, voici un billet de dix crédits impériaux !

    J’attrape le billet d’une main tremblante, une larme perle au coin de ma paupière.   Comme c’est généreux de sa part ! Finalement, il n’est pas si mal que ça, pour un non-humain. Le jour où on éradiquera enfin toutes ces sous-espèces de la galaxie, je signerai une pétition ­– anonyme, bien sûr – pour commuer sa peine de mort en emprisonnement à vie, en guise de remerciement.

 

    Une puissante explosion ébranle le sol et je manque de m’y retrouver projeté.

    J’entends toujours la voix off :

    «  Houlà, les chasseurs de primes ne sont clairement pas là pour rigoler ! Il y a des bouts de corps qui volent partout, c’est un véritable carnage ! Des jets d’acide font fondre des arrivants, des shuriken effilés en transpercent d’autres de part en part ! Aïe, il y en a un qui a dû avaler une grenade sous la menace d’un fusil-laser !

    Oh, les chasseurs de primes déploient une banderole géante : « Livrez-nous Nomis ou on met la planète à feu et à sang » ! Ça alors, ils ne manquent pas de toupet ! Ils n’ont vraiment aucun savoir-vivre ! Personne ne dit ce qu’il doit faire à un Althèthissien, non mais oh ! Nous avons notre fierté et ne ployons jamais sous le joug de la violence !

    Nous résisterons de toute nos forces jusqu’à notre dernier souffle ! Hey, mais… chers auditeurs, je crois que je vais devoir rendre l’antenne : quatre missiles à concussion viennent d’être lancés vers moi. Chérie, si tu m’entends, je peux tout avouer, maintenant : tes soupçons étaient fondés, j’ai bien couché avec notre voisine Rabraba ! Aaaah, je me sens mieux, la conscience en paix ! »

 

    L’explosion qui suit dans l’instant, très violente, me jette à terre. Et j’essaye de me rappeler un truc : mais qu’est-ce que je suis venu foutre ici ?

    Les chasseurs de primes décident de laisser tomber la course et tirent sur tous les gardes de sécurité, quand je me retrouve soudain dans leur ligne de mire. Par un heureux réflexe, j’empoigne le premier badaud qui passe, le jette vers le chasseur de primes le plus proche en criant :

    – Je l’ai reconnu, c’est Nomis !

    Le pauvre bougre se prend aussitôt un tir de laser en plein front et s’écroule à terre sans un mot. Désolé, garçon, je n’avais rien contre toi, c’est juste que mieux vaut toi que moi !

    Je fais un pas vers le cadavre fumant et Snaf me dit :

    – Oôôôôô, comme c’est beau, snif ! Tu veux aller voir s’il respire encore pour tenter de le sauver ?

    – Euh, oui, bien sûr, que je réponds.

    Apparemment, il ne serait pas de bon ton de déclarer que je voulais fouiller les poches du mort à la recherche de liquidités.

    – C’est trop dangereux ici, Nomis, on se barre ! dit Zavid.

    Avec la souplesse de la femme de terrain qu’elle est, elle se précipite vers un escalator qui descend, saute sur la rambarde et glisse jusqu’en bas en un instant.

    Snaf suit, en bousculant les gens qui tentent de fuir :

    – Pardon… Pardon… pousse-toi, toi ! Hey, garde tes mains, mon gars ! Pardon… Pardon…

    Kiki, qui s’est enfin remis du choc avec la porte de la guitoune derrière laquelle je m’étais réfugié, ne se pose pas de question et utilise la même technique que Snaf, en plus efficace. Il renverse tout le monde, donne des coups de tête pour éjecter les gêneurs, dont certains basculent par-dessus la rambarde.

    Il y a tant de monde à terre dans l’escalator après son passage que je décide d’utiliser la technique de Zavid. Je saute donc sur la rambarde, mais j’évalue mal la distance et passe par-dessus. Oups ! Du vide sous mes pieds…

    – Je lègue tous mes biens à… que je commence à crier tout en chutant.

    – … Ah bah non, à personne vu que je suis fauché, que je termine.

 

    Je m’écrase violemment sur le dos. Tiens, je suis encore en vie ? Étrange… Je constate que ma chute s’est arrêtée plus tôt que prévu. Je suis sur le toit d’une toute petite bâtisse, souffle coupé.

    Sous moi, une tête émerge d’une fenêtre invisible et me fais :

    – Bonjour, cher client, vous désirez ? Un kebab ? Une frite ? Un sandwich ?

    – Une frite, s’il vous plaît, que je réponds machinalement. Avec un supplément petchuk.

    – Ça fera 3,42 crédits, monsieur.

    – Les voilà, que je dis en tendant mon billet de dix.

    – Nomis, bon sang, c’est pas le moment ! crie Zavid en courant vers moi.

    Je commence à en avoir sérieusement marre de cette folle… et de tout, d’ailleurs. Moi, tout ce que je veux, c’est pouvoir déguster tranquilou ma frite avec un supplément petchuk. L’univers ne peut-il donc pas me foutre la paix deux secondes ? J’ai tant besoin de calme, de sérénité et de zenitude…

    Zavid, au pied de la petite boutique du marchand ambulant, reprend :

    – Bouge tes fesses, Nomis ! Il ne se faudra pas de beaucoup de temps avant que… Oh non, c’est trop tard !

    De ce fait, je constate que nous sommes encerclés par des dizaines de chasseurs de primes. Qu’ils soient à pied, à roulettes, à tentacules, à ailes ou à packs dorsaux, il se retrouve tout de même une constante chez chacun d’entre eux : tous pointent un flingue – ou un missile, ou une grenade – sur moi.

    Franchement, j’en suis à un point où je m’en fiche.

    – Voilà votre frite, me fait le marchand et me la tendant.

    Je le remercie, je m’assois en tailleur et en mange une. Mouais, c’est pas trop mauvais. Je vois le marchand bondir de sa boutique pour aller se réfugier en sécurité, et ce n’est que là que je me rends compte que ce malhonnête ne m’a même pas rendu ma monnaie !

    Décidément, tout fout le camp…

 

    – RENDEZ-VOUS OU NOUS OUVRONS LE FEU, NOMIS ! fait le chef des chasseurs de primes dans un mégaphone.

    Je me lève, le toise froidement et réplique en le pointant du doigt :

    – Nomis meurt mais ne se rend pas !

    – JE PEUX COMPRENDRE ÇA, MAIS VOUS ÊTES UN PEU RIDICULE À TENDRE UNE FRITE VERS MOI COMME VOUS LE FAITES.

    Waaaah l’autre ! Comment il essaye de me casser mes effets, solennité, tout ça…

    – EN PLUS VOUS AVEZ UN PEU DE PETCHUK SUR LA JOUE, ÇA CASSE PAS MAL LA CRÉDIBILITÉ ET LE SÉRIEUX DE VOTRE TIRADE.

    Non mais quel pisse-froid, celui-là !

 

    Mais peu importe, je ne me rendrai pas ! Jamais ! Je partirai dans l’honneur, l’amour, la gloire, la beauté, le… tiens, qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi est-ce que les chasseurs de primes ont baissé leurs armes ? Ils ont tous tourné la tête vers la droite, alors je fais pareil, tout en me rendant compte à ce moment qu’un bruit de chuintement provient de cette direction.

 

    Un escargot géant.

 

    Normal.