XLV

 

     

    I believe I can flyyyyyy…

 

    Je flotte au-dessus des nuages. Tout irait bien, nonobstant ce bruit de fond, des mots qui parviennent à mon esprit sans pour autant faire sens.

    – Bon sang, il a eu une sacrée veine de ne pas faire une overdose ! Il aurait pu en mourir !

    – J’en suis ravi pour lui, répond une voix morose. Lui, au moins, il survivra à cette erreur.

    – Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

    – Que nous, nous sommes morts. Dès que Gaga s’apercevra qu’il lui manque une poche de cocaïnhéroïne liquéfiée, il mènera l’enquête, remontera jusqu’à nous et nous fera exécuter.

    – Ça fait pas un peu beaucoup de « nous », dans ta diatribe ?

    – Peu importe.

    – Il faut croire que son idée de dissimuler la cocaïnhéroïne sous forme de poches d’eaumédic était une trop bonne idée. Quoi qu’il en soit, ce fut un plaisir de t’avoir rencontré. Mais ça fait quand même chier de mourir, alors que j’étais si proche de réussir à remplir mon CODEVI.

    – De mon côté, je me console en pensant que mes huit ex-femmes vont enfin devoir se débrouiller sans les pensions alimentaires que je leur verse tous les mois et qui grèvent en permanence mon budget.

    Je n’ai rien compris de ce qui se disait. Je parviens à ouvrir un œil. Une fois que tout a fini de tourner autour de moi, une scène floue apparaît devant mes yeux : deux hommes qui se donnent l’accolade, serrés l’un contre l’autre.

    L’un d’eux reprend la parole :

    – Au fait, tu es devenu gay ?

    – Euh… non, et toi ?

    – Non plus. On va peut-être arrêter de se coller comme ça, du coup.

    – T’as raison, fait l’autre en s’écartant.

    Alors que la fatigue menace à nouveau de m’emporter, les mots qu’ils prononcent dansent une sarabande que je ne comprends plus.

    – Tiens, mais j’y pense ! Que nous sommes bêtes ! Il y a un moyen très simple pour survivre à notre erreur !

    – Ah oui ? Lequel ?

    – On met ça sur le dos de ce Nomis. Après tout, c’est lui qui l’a consommé, ce concentré de cocaïnhéroïne !

    – Pas bête… parfait, même ! On lui prélève un peu de sang, on dira que c’était pour vérifier qu’il ne suintait pas trop de germes purulents et hop, le moment venu, on montre nos analyses comme quoi la drogue est dans son sang !

    – Génial, on fait comme ça ! Tapes m’en cinq !

 

    Quand je me réveille, je suis trèèèèès fatigué. Méga mal au crâne. Ankylosé de partout. Mes mains n’arrêtent pas de trembler. J’ai la bouche tellement sèche que j’ai l’impression d’avoir mangé du sable. Au moins un désert.

    – Aaaaaaaaaaaah, ce cher Cirederf se réveille, me fait le type au senseur, un grand sourire radieux aux lèvres.

    – Il a fait un gros dodo, le Cirederfinou, ajoute l’autre, bonhomme.

    Je souris. Aïe, ça fait mal aux joues ! Mais je souris quand même, parce que ces deux gars sont si amicaux… On dirait qu’ils ont enfin pris conscience de l’importance de l’homme important qu’ils ont l’incroyable chance de côtoyer, d’où leur air réjoui et leur amabilité. Comme je les comprends : les gens de pouvoir comme moi, ça se ménage, ça se choye, car on a le bras long ! J’ai interviewé l’Empereur en personne, moi !

    Les grands hommes ne frayant pas avec la plèbe, je m’assois et leur demande, glacial :

    – Où sont mes fringues ?

    L’homme au senseur les amène avec délicatesse. Ils ont été repassés, et même lavés vu la bonne odeur de lavande qui s’en dégage.

    Tout en m’habillant, j’inspecte soigneusement mes habits. Ils n’ont jamais été plus nickels, peut-être même pas quand je les ai achetés. Mais les grands hommes ont toujours un reproche à la bouche pour le petit peuple, aussi je lui dis :

    – Ils sont rêches. La prochaine fois, mettez plus d’adoucissant.

    – Tu as toujours des regrets quant à ce qu’on projette de faire ? demande l’homme au senseur en se tournant vers son acolyte.

    – Non, aucun. Mes scrupules viennent de s’envoler, là, comme ça, pouf !

    – De quoi vous parlez ? que je demande.

    – De rien, de rien, répondent-ils à l’unisson.

    L’un d’eux me prend par le bras pour m’aider à marcher puis, avec moult courbettes, ils m’accompagnent jusqu’à la porte de l’infirmerie. Dès que je suis dans le couloir, la porte refermée sur eux, j’entends dans mon dos :

    – Champagne !

    Pfeuhhh… il faut croire que ces deux pécores vont s’adonner à la boisson. Décidément, un gueux restera toujours un gueux, et méritera toujours mon mépris.

    Avec tout ça, je ne sais pas où je suis, or j’aimerais bien rejoindre les autres. Le couloir est d’une telle propreté que j’ose à peine marcher, m’attendant à chaque pas à me faire désintégrer par un canon-laser qui surgirait des murs, pour me punir d’avoir sali le sol avec mes chaussures.

    Et puis il y a des portes partout. Comment trouver la bonne ?

    Comme je suis un être exceptionnel, je me dis que c’est l’occasion de vérifier à nouveau si des pouvoirs magiques ne se manifestent pas en moi. Ce serait trop génial ! Maîtriser la télékinésie, par exemple : plus besoin de se lever du sofa pour attraper une bière dans le frigo. C’est elle qui viendrait à moi ! Manipuler les esprits faibles. Je me vois déjà dire à mon banquier :

    – Vous avez commis une erreur sur mes comptes. Vous allez transférer un milliard de crédits dessus.

    Et lui de répondre :

    – À vos ordres, monseigneur.

    En attendant ce jour, je décide de m’entraîner sur le sens de l’orientation, tout en marchant les yeux mi-clos.

    Là !

    Cette porte m’appelle, je peux le sentir ! C’est forcément le bon chemin !

    J’ouvre. Un placard à balais. Bon, je manque tout simplement d’entraînement, on va dire.

    Quand j’arrive devant la porte suivante, je n’ai pas à appuyer sur le bouton d’ouverture car la porte s’efface devant moi. Et je me retrouve nez à nez avec une superbe femme. Si ça ce n’est pas un signe du destin…

    – Salut, beauté, que je lui fais de ma voix la plus suave possible.

    Et elle se jette sur moi.

 

    Décidément, je m’épaterai toujours.