LXVIII

 

 

    Le jour se lève. Je le vois en portant mon regard hagard vers la fenêtre. Bof. Jour, nuit, tout ça c’est pareil. L’heure de ma mort dans d’atroces souffrances ne fait que se rapprocher, seconde après seconde.

    J’écarte les bouteilles vides qui jonchent la table à manger de mémé, que je squatte depuis le début de la soirée.

    J’attrape une bouteille pleine. Est-ce bien raisonnable de m’en enfiler une énième, alors que je n’ai fait que ça de toute la nuit ? Bof encore. M’en fous. Je la décapsule et boit une longue gorgée à même le goulot.

    Je repose ma bouteille et faisant la grimace. Beurk, c’est infect ! En plus ça me détruit l’estomac. Mais bon, je l’ai bien cherché.

    Je soupire, reprends une gorgée. Re-beurk. Décidément, c’est vraiment dégueu, le lait.  Oui, je n’ai pas trouvé de gnôle, ni quoi que ce soit d’autre de plus ou moins alcoolisé. Je me suis donc rabattu sur ce que j’ai trouvé.

    Triste fin de vie, où j’aurais même raté ma dernière cuite.

 

    À ce moment, la porte s’ouvre et j’entends :

    – NOMIS !

    Par réflexe de survie, je me jette sous la table. Ce type, c’est forcément des ennuis en puissance, surtout vu le ton sur lequel il me parle d’entrée de jeu.

    Il poursuit :

    – Euh… Vous faites quoi, là, Nomis ?

    Je lui jette un œil. Ouf, je ne suis pas en danger. C’est juste l’un des sous-hommes qui vivent aux crochets de mémé. Du coup, il faut que je donne le change pour ne pas qu’il pense que je me suis réfugié là-dessous par peur : ça s’appelle garder sa dignité.

    Alors j’attrape le premier truc qui me tombe sous la main, me relève et l’exhibe triomphalement au bellâtre, tout en lui rétorquant :

    – J’avais vu ça, il me le fallait absolument avant qu’il ne s’enfuie, vous comprenez ?

    Il fixe ma main, je fais pareil : un cafard d’une taille monstrueuse agite ses pattes et ses antennes.

    Je le lâche, ainsi qu’un cri, et l’écrabouille sous mon talon.

    À l’autre qui me regarde d’un drôle d’air, je balance la première excuse bidon qui me vient en tête :

    – Je… Je croyais que c’était un… cafard… doré… à rayures incurvées… de la planète Zershetggrfvb VII. Une bestiole très très rare et qui vaut très cher.

    Et toc ! Ce demi-cerveau n’a rien dû comprendre. Rhalala, qu’il est aisé de d’embrouiller les simples d’esprit.

    – Vous savez, Nomis, j’ai un master d’entomologie donc bon, vos pipotages ne marchent pas avec moi.

    Et merde. Alors je rétorque :

    – Oui, bon, peut-être, mais il faut dire que toutes ces saloperies se ressemblent, aussi. J’ai dû confondre avec autre chose. Bref, vous vouliez quoi, au fait, à entrer ici en hurlant ? Je suis un homme très occupé donc accouchez.

    Il regarde les bouteilles de lait sur la table mais n’émet aucun commentaire, ce dont je lui sais intérieurement gré.

    – Je venais vous prévenir que nos radars ont capté un signal.

    – Quel genre de signal ?

    – Un vaisseau qui se dirigeait vers la planète.

    Aïe ! Méga-aïe ! L’Empire, déjà ?

    – Vous avez dit « se dirigeait », au passé. Il a changé de trajectoire pour déjà repartir ?

    – Bah non, mais il a largement eu le temps d’atterrir depuis que je suis entré ici pour vous prévenir.

    – Ô mon dieu, je suis un homme mort ! C’était quoi, comme vaisseau ? Un vaisseau pénitentiaire ? Un nouveau Canon Planétaire Impérial ? Le vaisseau-amiral de Lord Executor, le Patator ?

    – Un simple transport, genre qui peut être piloté seul et qui peut embarquer six passagers maximum.

    Ouf, sauvé ! Je n’ai rien à craindre s’ils sont aussi peu nombreux.

    Sauf que la porte s’ouvre à nouveau à ce moment-là : encore un éphèbe, qui se met à beugler :

    – Nomis ! Les types qui viennent d’atterrir tirent sur tout ce qui bouge en criant votre nom ! ARGH !

    Le « ARGH » qu’il pousse, c’est quand un tir de blaster venu de derrière lui lui fait un gros trou dans la poitrine, genre on peut passer le poing dedans.

    Je saute aussitôt sur mes pieds et fuis dans la direction opposée. Diantre, j’entends quelqu’un qui court juste derrière moi. Oh non, ils sont si rapides que ça ?

    Tirs en rafale, bruit de chute dans mon dos. Coup d’œil derrière : l’éphèbe au master s’est écroulé à terre, un gros trou au milieu du front. Ouf ! Tant que c’est pas moi, ça me va !

 

    J’enfile couloir sur couloir. Les tirs de blaster s’écrasent partout autour de moi, tandis que mon nom ne cesse d’être crié. Ce serait une horde de supporters, ça me conviendrait parfaitement, mais là, non !

    L’une de mes – très rares – lacunes, c’est indubitablement l’endurance. Et vu que là, j’ai les poumons déjà en feu, je suis prêt à m’écrouler et que j’ai deux points de côté, il faut que ça cesse, et vite !

    Au détour d’un énième, j’avise une porte sur le mur de droite. Je saute dessus. Ouf, elle s’ouvre. Je m’engouffre, referme derrière moi et m’adosse à la porte.

    Pendant que je reprends mon souffle, j’allume la lumière pour voir où je suis. Tiens, encore un placard à balais. Mais petit et ouf, pas de trace du colonel Flocoche. Pour une fois qu’il ne se cache pas, ligoté, dans un placard…

    La cavalcade dans le couloir s’est tue. Mon astuce semble les avoir blousés.

    – Je l’ai vu franchir cette porte !

    Ah bah non.

    Je tourne aussitôt la clé dans la porte pour m’enfermer, mais mes doigts se referment sur du vide. Ah bah oui, normal : y’a pas de clé, ni de verrou d’aucune sorte.

    J’attrape le premier truc venu, pour la deuxième fois dans ce chapitre, et je le cale contre la porte pour la bloquer.  Ce truc, c’est… c’est… zut, comment ça s’appelle, déjà ?  Son nom m’échappe, à ce machin que tout le monde a chez lui mais dont, perso, je serais bien en peine de certifier en avoir un, et encore moins de savoir où je l’ai rangé.

    Rhaaa, ça m’énerve quand ma mémoire défaille. C’est quoi, ce foutu nom ? Ah oui, ça me revient ! « Balai ».

    De l’autre côté de la porte, j’entends :

    – Passe-moi le détonateur thermal, je vais tout faire péter !