XCI

  

 

    – Je crois que je vais finir par désespérer, que je murmure.

    Je semble fédérer tellement de haine contre moi que je vais finir par me demander si, au fond, je ne suis pas un monstre.

    Heureusement, un coup d’œil à Saint-Lazare me rassure à ce niveau. Au moins, j’ai encore l’apparence d’un type normal… enfin, en un peu plus supérieur, quand même, vu que c’est moi.

    En même temps, ledit coup d’œil ne me rassure pas à un autre niveau : Saint-Lazare fait les yeux noirs, pire que les gosses à qui on ne cède pas les caprices. Je me demande ce qu’il va nous sortir, cette fois-ci.

    Soudain, son visage s’éclaire d’un sourire satisfait. On dirait qu’il a trouvé quelle sera sa prochaine attaque. Il se tourne vers moi et me dis :

    – Mon cher Nomis… Vous croyez qu’ils sont bons en apnée, tchip, tous autant qu’ils sont ?

    Je crois comprendre, aussi je réponds fièrement :

    – Vous allez noyer toute la forteresse, et du coup nos assaillants aussi !

    – Toute la forteresse, non, juste les niveaux inférieurs dans lesquels ils se trouvent. Ce piège, pour efficace qu’il soit, est pourtant celui qui m’enchante le moins.

    – Vraiment ? Et pourquoi ?

    – Au prix du mètre cube d’eau, ça va me coûter un bras !

    Pour souligner la symbolique de ses paroles, il lève ledit bras, le regarde, je fais pareil, et je crois qu’on pense tous deux la même chose, à savoir qu’il n’a plus de bras mais des ailes. Forcément, sa comparaison semble toute pourrie.

    Il baisse l’aile sans rien dire. Je préfère me taire aussi. Il reprend en soupirant :

    – Et le problème c’est que l’eau en question vient des niveaux supérieurs de la forteresse, dans lesquels nous n’aurons donc plus d’eau. Ni dans les robinets, ni dans les douches, ni dans les robinets, ni dans les chasses d’eau. Nous n’aurons plus d’eau pour le ricard, et je ne vous parle même pas du système anti-incendie, qui sera hors service. Tchip ! Et puis ma piscine olympique, vous y pensez, à ma piscine olympique ? Vous avez une idée du nombre d’heures nécessaires pour la remplir ?

    Je mesure désormais à quel point c’est un crève-cœur pour Saint-Lazare d’actionner ce piège. Je n’avais pas songé aux conséquences pratiques.

    – Heureusement, on va quand même bien rire, sourit quand même Saint-Lazare en me faisant un clin d’œil. Car il y a une surprise en plus de l’eau.

    Il appuie sur un bouton de son pupitre informatique et sur les caméras de contrôle, on voit des millions de litres d’eau – bon, je ne suis pas certain qu’il y en ait des millions, mais vu d’ici, c’est super impressionnant tellement y’en a – se déverser dans les couloirs et atteindre les bas-fonds de la forteresse.

    Bientôt, Zavid, Sylmort, Covelian, Hoydings et ses deux agents rescapés, Kiki et les trente-quatre Mandaloriens ont de l’eau jusqu’aux chevilles. Ils décident de tenir un conciliabule afin de définir la marche à suivre pour s’en sortir, mais le temps qu’ils se rendent compte qu’il est impossible de tenir une conversation rationnelle à quarante plus un nexu, voilà l’eau déjà à leurs genoux.

    – FERMEZ-LÀ OU JE VOUS DESCENDS TOUS, crie Zavid, à bout de patience depuis longtemps.

    N’empêche que son self-contrôle m’épate : la connaissant comme je la connais, j’aurais plutôt pensé qu’elle aurait d’abord tiré, pour ensuite seulement parlementer avec les survivants.

    Puis elle ajoute à l’intention des Mandaloriens :

    – Vous n’avez pas un chef ? Ce serait plus pratique pour tenir un briefing, vous ne croyez pas ?

    – Bah non, nous n’en avons pas. Vous savez, nous sommes employés par le Crédit Mutuel de Coruscant, et en tant que tels, nous sommes sociétaires à parts égales de la banque. Aucun d’entre nous ne peut donc avoir plus de pouvoir qu’un autre.

    – Oui, surenchérit l’un de ses camarades, car une banque qui appartient à ses clients, ça change tout.

    Une fois qu’un ange que personne ne verra jamais – sauf de gens abusant de produits psychotropes, mais dont le témoignage est de facto soumis à suspicion – a fini de passer, Zavid empoigne un autre énorme flingue après avoir glissé un couteau entre ses dents, et annonce :

    – Bon, le chef c’est moi. Des objections ?

    L’un des Mandaloriens saute en pousssant un cri, et se retrouve aussi sec en ligne de mire des armes de Zavid.

    Il lève les bras :

    – Attendez ! Je ne suis pas fou, je ne compte pas m’opposer à vous ! C’est juste que l’eau a atteint mon bas-ventre à force de monter, et que c’est vachement froid !

    – Je pense qu’il n’y a rien à attendre d’eux, annonce sentencieusement Covelian.

    – Hoy, ils sont indécrottables.

    – Oui, de vraies poules mouillées, ajoute Sylmort.

    Le Mandalorien qui a eu froid réplique :

    – Oui bah nous les Mandaloriens, au moins, on va survivre, contrairement à vous autres.

    – Ah ? Et pourquoi donc ? demande Zavid.

    – Nos combis avec casque intégral peuvent nous permettre de respirer sous l’eau comme dans l’espace ou les fumées toxiques, na !

    À mes côtés, Saint-Lazare s’exclame :

    – Oh non, je n’avais pas songé à cela ! On va peut-être éliminer les agents du BSI, votre ex et le nexu, mais les trente-quatre Mandaloriens vont survivre !

    – Mieux vaut cela que l’inverse, que je corrige. Les Mandos me semblent nettement moins intelligents, retors et sournois.

    – Voilà qui n’est pas faux. Mais de toute manière j’ai – encore – la parade, conclut Saint-Lazare en tapant quelques lignes codes sur son ordinateur, avant de valider.

    Je vois les agents du BSI et Sylmort crisper leurs mains sur leurs armes, et je peux presque entendre leurs pensées, qui doivent être du genre : piquons des armures de quelques Mandos, enfilons-les et on s’en sortira.

    C’est peut-être pas très moral de le penser, mais je les connais assez pour deviner leurs pensées. Et puis à leur place, c’est aussi ce que je ferais. Il faut ce qu’il faut pour survivre.

    Il faut croire que les Mandos sentent le danger de mort planer au-dessus de leurs têtes, car plus d’un rapproche sa main de son arme.

    C’est à ce moment que l’un d’eux pousse un hurlement et disparaît sous l’eau. Tout le monde se tourne vers lui. Il réapparaît brièvement et hurle derechef :

    – Un requin !