Pérégrinations, présentation et introduction
samedi, septembre 10 2011 | Pérégrinations
Voici donc le feuilleton du samedi. Il a pour nom Pérégrinations. C’est une histoire de fantasy se déroulant sur le monde de Galéir, et elle raconte les aventures de trois personnages, deux hommes et une femme, qui se retrouvent à voyager ensemble par hasard…
Pour commencer, voici ce qui pourrait s’apparenter à une couverture pour l’histoire, un joli travail de Mitsu (merci à elle).
Et sans plus attendre, voici l’introduction de la première histoire, tout simplement intitulée Pérégrinations.
Jemril attend. Patiemment. C’est à peine s’il respire. Il ne doit pas bouger. Surtout pas. La suite en dépend. Il a conscience qu’il ne peut l’emporter que par surprise.
Caché derrière le buisson, indifférent aux feuilles mortes qui tourbillonnent autour de lui, il dresse soudain l’oreille. Oui, aucun doute. C’est bien le pas d’un cheval qu’il entend. D’un seul cheval. Donc d’un seul cavalier. Décidément, c’est jouable, pense-t-il en serrant dans sa main la pierre pointue.
Quand le coude du chemin forestier dévoile la monture et son maître, Jemril ne peut s’empêcher d’être désappointé. Ce n’est pas un cheval qui vient de faire son apparition mais un âne. Lui qui se voyait déjà fuir la région au grand galop…
La bonne nouvelle est que le cavalier est gras et ne semble pas porter d’armes. Les liserés verts qui ornent sa robe de bure brune indiquent clairement son état d’ecclésiastique. Jemril a déjà vu ce type d’individu auparavant. Il serait bien en peine de préciser de quel dieu l’individu est le serviteur mais il s’en moque. De toute manière, il ne croit en aucun dieu. Ni en personne d’autre que lui-même. C’est ce qui l’a gardé en vie jusque-là. Et il n’y a aucune raison pour que cela change.
Jemril ne s’est jamais senti aussi tendu. Son cœur bat la chamade, ses mâchoires sont serrées et sa main tenant le couteau de pierre est moite. Elle tremble un peu, aussi.
Je suis un loup, se dit-il pour se donner du courage. Il émerge sans bruit du buisson après le passage de l’âne, et se rapproche d’un pas feutré et rapide. La chance est avec lui : la brise qui joue avec les feuilles de la forêt empêche le cavalier et sa monture de l’entendre.
Jemril a peur. Il suffirait à l’homme de se retourner pour prendre conscience du danger mortel qui le menace. Mais il ne se retourne pas.
Jemril bondit vers sa cible et abat sa pierre pointue juste au-dessus du cou de l’ecclésiastique. Cri de surprise, gerbe de sang, l’homme desselle et s’affale lourdement au sol, sur le dos. Il émet quelques gargouillis, ses yeux se révulsent déjà. L’âne se met à braire et à trottiner. C’est à peine si Jemril le remarque. Il est hypnotisé par l’agonie de sa victime. C’est déjà fini : le corps se relâche, se détend.
Jemril est pragmatique. Il sourit. Non pas parce qu’il est fier d’avoir tué quelqu’un. Ce n’est pas la première fois et ça ne devrait pas être la dernière. Mais comme à chaque fois, il oublie déjà l’acte qu’il vient de commettre pour se concentrer pour sa conséquence : il a une monture, fait primordial qui va lui permettre de fuir la région et de tenter de faire son trou ailleurs.
Quand il entend le claquement, il est déjà trop tard. Il identifie instantanément le bruit comme étant le ressort d’une arbalète qui se détend. Le carreau transperce son biceps avec une telle force qu’il fait un tour sur lui-même avant de tomber à genoux, sonné. Puis suit l’explosion de douleur et un hurlement qu’il ne peut retenir.
C’est insoutenable, à un point tel qu’il sent ses forces l’abandonner. Il s’écroule face contre terre, les yeux remplis de larmes qu’il ne parvient pas à réprimer. Aveugle et impuissant, il entend ses agresseurs se rapprocher en discutant.
– Dommage, nous sommes arrivés trop tard.
– Oui, nous devrons nous contenter d’un seul esclave de plus au lieu de deux.
– Bah, il y en aura d’autres, la route est encore longue.
– Il est vrai. Ardin, récupère l’âne. Nous n’aurons pas à porter le gamin.
***
Les deux jeunes femmes fuyaient à travers l’épaisse forêt, comme si elles avaient de monstrueux Pirlains à leurs trousses. Elles se ressemblaient beaucoup, notamment par leurs cheveux bruns. Les cris de leurs poursuivants ne cessaient de résonner derrière elles. Ils se rapprochaient, inexorablement. Elles ne pourraient pas leur échapper longtemps.
L’une d’elles tomba, et comme sa compagne faisait demi-tour pour l’aider à se remettre sur pieds, elle lui dit :
– Laissez-moi, je n’y arriverai pas, de toute manière. Pas dans mon état !
– Courage, princesse Vhondé. Ils ne nous ont pas encore capturées ! répondit l’autre.
– Ce n’est qu’une question de temps, sanglota Vhondé en portant une main à son ventre rebondi. Par les dieux, que va-t-il nous arriver ?
– Rien du tout, nous allons nous en sortir. Allez, courage !
Vhondé attrapa la main tendue d’Arilina et se remit à courir maladroitement. C’était sûrement un cauchemar, ce ne pouvait pas être autre chose.
Pourtant, quand le souvenir de l’attaque de leur convoi s’imposa à son esprit, elle sut que les événements s’étaient réellement produits. Leurs gardes s’étaient bien battus, sûrement jusqu’à la mort, comme tout bon soldat dévoué à la famille royale de Lacteng. Leur sacrifice avait permis à la princesse du royaume de gagner un sursis. Bien maigre, se dit Vhondé. Elle ne voyait pas comment il pourrait être possible d’échapper aux hommes qui étaient à leur poursuite.
– Allez, princesse, reprit Arilina, la Tirène n’est plus très loin.
– Et alors ? Tu crois qu’une barque nous y attend pour que nous la traversions ?
– Nous verrons le moment venu, répondit Arilina, en tirant Vhondé, inflexible.
La princesse n’avait jamais été férue d’exercices physiques, au contraire. Dans ses yeux larmoyants picotaient des points noirs. Ses poumons étaient en feu, comme s’ils allaient exploser. Elle ne sentait même plus ses jambes. Elle ne pourrait pas aller plus loin, et elle le savait.
Arilina s’en rendit compte également et s’arrêta. Elle regarda tout autour d’elle et les dirigea vers un arbre gigantesque, dont la naissance des énormes racines courait au sol, formant un entrelacs suffisamment torturé pour s’y réfugier. Arilina cacha Vhondé entre deux racines noueuses et la recouvrit de feuilles mortes du mieux qu’elle put. Au bord de l’épuisement, Vhondé ne réagit pas, léthargique. Dès qu’elle eut fini, Arilina lui dit :
– Ne bougez pas de là quoi qu’il arrive, princesse. Je vais les attirer au loin. Attendez quelques heures avant de sortir de là, et dirigez-vous ensuite vers la Tirène, c’est votre meilleure chance.
– Mais… balbutia Vhondé.
– Que les Panthéons vous guident, princesse Vhondé, conclut Arilina avant de tourner les talons et de s’enfuir.
Vhondé n’osa pas bouger. Elle regarda la silhouette de sa fidèle compagne s’éloigner, et entendit les cris des poursuivants atteindre un nouveau palier : ils avaient repéré Arilina. Elle la vit se cacher dans un buisson après avoir dégainé la dague effilée qui ne la quittait jamais. Les brigands arrivèrent à leur tour, certains en courant, d’autres en se déplaçant de manière plus circonspecte. Arilina se jeta sur le premier homme qui passa à sa portée, dague en avant. Mais dans le même temps qu’elle lui portait un coup fatal en pleine poitrine, il eut le temps de l’embrocher sur son épée courbe.
Vhondé se retint de crier en se mordant les lèvres jusqu’au sang. Pourtant, elle ne put retenir d’incontrôlables sanglots étouffés. À travers ses larmes, c’est à peine si elle distingua les brigands qui vinrent bientôt l’entourer.
– Dommage qu’on n’ait pas pu récupérer l’autre garce, dit l’un d’entre eux.
– Ouaip. En plus, cette garce a tué Roderik, répondit un autre.
– Bah, il y aura plus à partager entre nous quand nous nous partagerons les bénéfices de la vente d’esclaves.
– Tu as raison. En plus on pourra vendre celle-là avec un bonus : elle est enceinte.
***
Voir de la fumée au loin mit du baume au cœur du voyageur. Il était grand temps qu’il tombe sur un village, ses vivres commençant à s’épuiser. Il inspira profondément, se remplissant les poumons de l’air vivifiant du printemps, et se remit à marcher sur le chemin de terre qui serpentait à travers les collines. Comme il était bon de marcher à l’aventure, sans but ! Il se réjouit d’entendre le bruit de sabots se rapprocher vers lui. Cela faisait quinze jours qu’il n’avait pas croisé âme qui vive, et discuter avec autrui lui manquait. À quoi bon parcourir le monde sans en rencontrer les habitants ?
Les cavaliers étaient au nombre de cinq. Leurs tenues hétéroclites se composaient de peaux de bête et de pièces d’armures dépareillées. Tous portaient des armes en bandoulière. Ils ralentirent en apercevant le voyageur, puis l’encerclèrent au pas, tranquillement. Le voyageur sourit de toutes ses dents, se passa une main dans les cheveux pour remettre en place la mèche virgule qui lui tombait presque dans l’œil. Pour une première rencontre avec un nouveau peuple, il voulait faire bonne figure.
Aucun des cavaliers ne lui rendit son sourire. L’un d’eux, l’œil et le ton dur, l’apostropha :
– Tu te promènes seul ?
– Oui-da, monseigneur, je…
– Tu es de la région ?
– Non, non, non. Je viens d’un village du Lacteng qui se trouve à quelques semaines d’ici, et…
– Tu connais quelqu’un dans le coin ?
– Oh non, j’ai décidé de parcourir le vaste monde afin d’en apprendre plus sur lui. En cela, je marche sur les traces de mon père, qui a en son temps…
– Il est où, ton village d’origine ?
– Plein est, il s’appelle Lesserel, un…
– Parfait, conclut le cavalier en mettant pied à terre.
L’homme fit le tour du voyageur, comme s’il le jaugeait.
– Montre-moi tes dents, reprit le cavalier.
– Mes dents ? Mais…
– Coutume locale, rétorqua l’autre avec un sourire torve.
– Ah ? Dans ce cas…
Le voyageur montra ses dents, à travers le sourire le plus éblouissant dont il fut capable.
– Pas mal, pas mal, fit le cavalier tandis que ses congénères ricanaient. Alors comme ça tu as quitté ton village pour voir du pays ?
– Oui-da, monseigneur, et j’espère bien…
– Ferme-là, tu me fatigues.
Le voyageur se tut, étonné. Le cavalier semblait dépourvu du moindre savoir-vivre, mais pouvait-il le juger là-dessus ? Après tout, c’était peut-être un trait de caractère inhérent aux autochtones. Le voyageur hocha donc la tête, comme s’il comprenait, et sourit à nouveau, en attendant sereinement la suite des événements.
– Gerlic, reprit le cavalier, rejoins le convoi et dis-leur qu’on a trouvé un endroit où camper. Degeruk, j’entends une rivière non loin, trouve la, ainsi qu’un endroit dégagé où nous pourrons nous installer.
Tandis que les deux autres partaient accomplir leur tâche après avoir acquiescé aux ordres de leur chef, celui-ci se retourna à nouveau vers le voyageur en souriant :
– Je t’invite à partager notre campement.
– C’est trop d’honneur, monseigneur, je serai ravi de…
Un coup de poing mit fin à sa tirade et le voyageur se retrouva à terre, à moitié sonné et la mâchoire endolorie.
– Mais que…
– La ferme, triple buse ! Imbécile ! Simplet ! Tu n’es pas un être humain, tu es désormais un esclave ! Appelle-moi maître !
– Mais…
– Tais-toi donc, et ne lève plus les yeux vers moi sans y avoir été invité ! Ilsdiek, confisque-lui ses affaires, ne lui laisse que ses vêtements.
Tandis que le voyageur hébété était dépouillé de ses maigres possessions, le chef des cavaliers demanda à l’un de ses acolytes :
– Ça nous en fait combien, maintenant ?
– Quatre-vingts, chef.
– Bon. Le contrat stipule que nous devons ramener soixante-quinze esclaves, donc nous avons un peu de marge, on peut se permettre d’en perdre cinq. On va surtout pouvoir s’arrêter là et regagner Griend pour les vendre.
– Oui, il est temps. L’époque des travaux des champs arrive à grands pas. Les seigneurs des plaines seront d’autant plus impatients d’avoir leur main-d’œuvre.
– À nous l’argent de la vente et un repos bien mérité !