Chapitre III : La conversation

Cela faisait désormais un mois que Seronn traînait sa misérable existence dans cette maudite clairière. Il n’avait plus la force d’en bouger, devenu famélique à force de privations, la peau sur les os. Avec l’impression de vivre en ces lieux depuis des siècles. Ses perceptions se limitaient à éprouver une faim dévorante, dans un froid glacial qui le mordait chaque seconde un peu plus, le conduisant inexorablement vers la mort.
Un matin, au réveil d’une nuit une nouvelle fois placée sous le signe de micro-siestes qui ne contribuaient qu’à l’épuiser davantage, il sentit que sa fin était proche. C’était tout ce que son esprit engourdi fut capable de se dire. Garder les yeux ouverts devenait une torture. Il n’essaya même pas de bouger. De toute manière, il ne sentait plus ses membres.

Il repensa à son pathétique passé, qui l’avait amené à la situation actuelle, bien digne du raté qu’il était. Oh, comme il regrettait de n’avoir pas écouté Tata Douba qui, quand il vivait encore au village de Lesserel, avait vainement tenté de le convaincre qu’être paysan au service du roi du Lacteng Féénaur XXVIII n’était pas une existence si déplaisante que cela.
Mais non ! Il lui avait fallu davantage, il s’était cru promis à un tout autre destin. Il avait estimé valoir mieux que ça. Las ! Joli progrès que de mourir dans une clairière de la forêt de DékongLa, avec pour seule compagne une poule volante qui ne cessait de babiller et qui était capable de faire fuir des monstres hideux.
Il ferma les yeux, fataliste. Plus rien ne lui importait plus. Que la faim, le froid ou sa propre déprime se battent pour venir à bout de sa misérable carcasse…

Le premier picotement ne le tira pas de son hébétude. Au dixième, il prit conscience qu’il avait mal au crâne, et trouva la force d’ouvrir un œil. Cette maudite poule était en train de lui donner des coups de bec sur la tête. Seronn marmonna :
– Hey, t’en as marre de bouffer des vers de terre, tu veux goûter de l’humain ? Fous-moi la paix, tu vois pas que je meurs ?
– Mais non, tu ne vas pas mourir.
– Si, je te dis. A moins que tu ne sois trop stupide pour le voir ?
– Il est vrai que tu me parais bien apte à me donner des leçons en matière de stupidité. Ceci dit, je te répète que tu ne vas pas mourir.
Ce n’est qu’à ce moment que Seronn se rendit compte qu’il parlait avec la poule, ou plutôt qu’il comprenait ses babillages.
– Tiens, tu vois que je vais mourir. J’ai l’impression d’arriver à te comprendre. Ça ne peut être que le délire d’un agonisant.
– Ou l’action de la magie tellurique qui règne en ces lieux, et qui se fait enfin sentir en toi, depuis un mois que tu y es exposé.
Seronn ricana, et chercha une répartie spirituelle. Rien ne venant, il se tut.
– Allez, debout, insista le Piminomo. Il est temps de te lever, un destin glorieux t’attend. Tu es l’homme qui va changer à jamais le destin de Galéir !
– C’est…c’est vrai ? demanda anxieusement Seronn en se redressant sur un coude, une moue stupide sur le visage.
– Bien sûr que non, tu t’es regardé ? rétorqua le volatile. Par contre, je constate que tu as encore assez de forces pour vivre, si on te donne une bonne raison pour. Je me trompe ?
– Heu… répondit l’humain, qui ne savait plus où il en était.
– Bon, si jamais tu te décides, rejoins-moi, conclut le Piminomo, avant de déployer ses ailes et de voler jusqu’au centre de la clairière.
– Hey, attends-moi, poule ! fit Seronn avant de se lever maladroitement, soutenu par l’adrénaline, et avec un grognement de douleur.
Plus empli de curiosité que d’espoir, il claudiqua vers son étrange compagnon.