Chapitre 20

Tel’Ay se plongea dans une profonde méditation tandis qu’Anaria, après avoir fait décoller leur navette, mit le cap dans la direction indiquée par l’ancien Jedi Skelor. Le Sith devait reprendre des forces, rapidement : créer et contrôler la tempête de Force lui avait sapé beaucoup d’énergie. Savoir que l’épreuve qu’il venait d’affronter risquait de n’avoir été qu’une pacotille à côté de l’affrontement à venir contre Dark Omberius n’était pas pour le rassurer.
Quoi qu’il en soit et quoi qu’il arrive, les dés étaient désormais jetés : tout allait bientôt finir, d’une manière ou d’une autre.

Le Gant de Vèntorqis semblait fonctionner à plein : les perceptions de Tel’Ay n’avaient jamais été aussi développées. Il sentait la navette comme s’il elle n’était qu’une extension de son corps. Ses nouveaux pouvoirs, presque emphatiques vis-à-vis des machines, semblaient s’affermir. En d’autres circonstances, le Skelor s’en serait réjoui, d’autant plus qu’acquérir ce type de capacités avait fait partie des ordres qu’il avait reçu de son défunt maître. Mais pour l’heure, il s’en désintéressait presque, obnubilé par un seul but : vaincre Dark Omberius. Aussi intéressants soient-ils, ses nouveaux pouvoirs ne seraient d’aucune utilité pour cet objectif. Pour l’heure, l’essentiel était de restaurer ses forces. Le plus grand défi de sa vie l’attendait.

Anaria pilotait la navette au ras du sol afin d’éviter autant que faire se puisse qu’ils soient détectés par des radars. Elle était très tendue, car piloter si vite et si près du sol exigeait d’elle une concentration importante, mais aussi parce qu’elle percevait que quelque chose avait changé chez son compagnon. Bien qu’elle ne sachât pas quoi, son instinct lui soufflait que cela ne présageait rien de bon. D’une manière ou d’une autre, elle était en train de le perdre.

Les senseurs de la navette finirent par repérer des signes de technologie et de vies assez concentrés pour en conclure qu’ils représentaient probablement la nouvelle capitale de Skelor I. Anaria abandonna aussitôt son approche directe et choisit de suivre le lit d’une rivière, qui semblait lui aussi se diriger vers leur objectif en serpentant paresseusement à travers les mornes plaines traversées de volutes de brouillard.

Tel’Ay, immergé dans la Force, avait parfaitement conscience de toutes ces données, mais il restait impassible, les yeux mi-clos, en apparence indifférent à son environnement. Nerveuse, Anaria coulait de temps en temps des regards de biais vers lui, en quête de nouvelles instructions. S’ils pouvaient détecter la présence de la ville, il était fort probable que l’inverse fut également vrai. Continuer à s’approcher était plus dangereux à chaque seconde qui passait. Soit ils prenaient le risque de se faire intercepter, soit ils continuaient à pied, où ils seraient probablement plus discrets. Cette dernière option semblait être le plus raisonnable aux yeux de la Wookiee puisqu’ils n’étaient pas pressés par le temps.
Elle se décida à grogner son analyse de la situation à son compagnon, qui n’y répondit qu’au bout d’un long moment, après avoir jeté un coup d’œil à la console des senseurs. Une part de Tel’Ay s’étonnait d’être capable d’interpréter sans le moindre effort les données chiffrées et diagrammes de détection : quelques semaines plus tôt, ils lui étaient encore parfaitement indéchiffrables.
– Nous sommes à cinquante kilomètres, je pense que cela suffira. Atterrissons et faisons le reste du chemin à pied.
Anaria acquiesça et se mit en quête d’un site d’atterrissage approprié. Elle dévia le cap pour se rapprocher d’une zone marécageuse en marge de la rivière.
D’immenses saules dont les branches formaient une fontaine de feuilles vertes bordaient les rives insalubres. Atterrir sous leur protection leur assurerait un camouflage parfait, mais elle dut s’y reprendre à trois fois avant de trouver un endroit convenable : le tapis d’herbes spongieuses était traître, masquant un cloaque marécageux qui ne demandait qu’à les engloutir. Elle posa enfin la navette sur une gangue de terre suffisamment solide pour en supporter le poids.


***

Jiger’Orsorul, le nouveau chancelier de la République, prit rapidement la mesure de son rôle. Fier Bothan porté par les réseaux d’alliances de son peuple, il avait surfé avec opportunisme sur les vagues de la crise qui agitait la République pour se retrouver au poste dont il rêvait depuis le jour où il avait décidé de se lancer dans la politique, activité élevée au rang d’art par son espèce. Et ce jour datait de sa prime enfance…
Au cours de sa carrière, il n’avait reculé devant rien : formé par les meilleurs, il avait mêlé habilement la subtilité de l’homme politique chevronné et les méthodes sans pitié pour écarter ses rivaux.

Fidèle aux principes qui avaient vus son élection, il ne fut pas long à décréter une pause dans l’expansion de la République, qui selon lui devait renforcer sa position et donner à ses membres le temps de pleinement s’intégrer dans le giron républicain.
Il réaffirma que nul monde ne saurait être incorporé contre son gré au sein de la République et, en preuve de bonne foi, annonça qu’il était prêt à reconnaître officiellement l’existence de l’Hégémonie Zabrak. De ce fait, il acceptait que Skelor I en fasse partie.
Il campa fermement sur une position dure vis-à-vis des Skelors : leur planète d’origine appartenant à l’Hégémonie, ils ne pouvaient se prévaloir du statut de citoyens républicains, sauf à en faire la demande individuellement.
Cette nouvelle anéantit Ver’Liu So-Ren, resté sur Coruscant le temps des élections. Officiellement citoyen de l’Hégémonie, il ne pouvait s’y rendre sans être exécuté pour sédition, comme il l’apprit vite par le biais de Tol Guela, ambassadeur de l’Hégémonie. De surcroît, un proche politique de Jiger’Orsorul lui fit comprendre qu’il n’était plus le bienvenue sur Coruscant. Sa présence risquait de mettre le chancelier élu en porte-à-faux vis-à-vis de la politique qu’il venait d’annoncer. Il lui fut même susurré que sa sécurité personnelle risquait de ne pas pouvoir être assuré. En guise de maigre consolation, son interlocuteur lui assura que s’il ne faisait pas de vagues, il se pouvait qu’avant la fin de son mandat, le chancelier Jiger’Orsorul « fasse un geste » pour lui et sa situation délicate.
Ver’Liu mesura l’extrême précarité de sa nouvelle situation quand il lui fut « conseillé » de ne pas chercher à s’installer sur un monde républicain : les plus hautes autorités seraient alors obligées de prendre des mesures contre lui, « pour le bien commun et la paix galactique ».

Pire, un ultimatum lui fut lancé : il avait quinze jours pour rejoindre Velinia III et quitter la planète avec son peuple, au risque de subir des représailles.
C’est dans un état second, proche de la prostration, qu’il embarqua sur son vaisseau pour quitter les lieux. Il avait voulu sauver son peuple et n’avait réussi qu’à le tuer une seconde fois, achevant le travail commencé par les Zabraks une génération plus tôt.


***

Sans un mot, Tel’Ay ouvrit l’écoutille et sortit. Anaria grogna sa colère d’être ignorée aussi ostensiblement. Malgré l’absence totale de réaction du Skelor, elle le suivit en bougonnant, une arme pesante dans les bras. Comme elle n’avait pas eu le temps de se fabriquer une nouvelle arbalète-laser, elle avait mis la main sur l’un des fusils-blaster contenus dans la petite armurerie du bord.

Tel’Ay se fondait sans un bruit entre les silhouettes torturées des arbres rachitiques qui n’émergeaient qu’à grand-peine des nappes de brouillard. Anaria avait fort à faire pour le suivre, irritée par l’humidité omniprésente qui rendait poisseuse sa fourrure. À chaque fois qu’elle mettait le pied sur une langue herbeuse et qu’elle s’y enfonçait jusqu’à mi-mollet, elle devait utiliser une bonne partie de sa force pour s’en extirper, avec un bruit de succion faisant presque penser que le marécage ne la laissait partir qu’à regret. Sans parler de la température glaciale qui s’emparait alors de ses pieds et remontait dans ses jambes. Elle frissonna : elle détestait cet environnement, qui semblait décidé à ne pas relâcher ses proies facilement. Alors qu’elle se demandait ce qui pourrait bien leur arriver de pire, elle entendit un grognement, plus sourd que celui qu’aurait pu produire le plus massif des Wookiees.

Elle rejoignit Tel’Ay, qui s’était arrêté un peu plus loin, aux aguets et main prête à empoigner son sabrolaser. Ils avancèrent prudemment, entourés des silhouettes lugubres des arbres noirs, et des rochers aussi gros que des landspeeders devinrent à leur tour visibles. Des dizaines de paires d’yeux jaunes et brillants apparut sur chacun des rochers, transperçant la brume, et un concert de grondements étouffés se leva. Les yeux se tournèrent vers eux.

Reptiliennes, longues de trois bons mètres et montées sur une dizaine de courtes pattes massives, les créatures brunes bougèrent lentement vers eux. Instinctivement, Anaria sut qu’elles attendaient le moindre geste brusque pour leur bondir dessus. Elle n’était pas sûre que son fusil-blaster soit assez puissant pour percer leur épaisse carapace brune parcourue de protéburances.
Tel’Ay se tourna vers elle, et elle fut stupéfaite de voir un large sourire illuminer ses traits, tel un enfant plongé dans un univers magique.
– Ce sont des Krogomos, aussi connus sous le nom de Dragons de Skelor. Jamais je n’aurai pensé en voir un jour.
– Heu, tu as l’air… émerveillé, Tel’Ay. Est-ce bien le moment ? demanda Anaria, inquiète de voir les créatures converger vers eux.
– Les Kromogos sont presque une légende ici. Les vieux contes locaux en sont truffés, ils représentent les messagers ou l’émanation du Grand Sweer, le dieu des Skelors. Ce sont des protecteurs et des alliés des Skelors.
– Ah ? Et… ils le savent ?
– On va vite le savoir, répondit Tel’Ay d’un ton léger.
Le Sith se tourna vers les Kromogos, paumes en avant et sourire aux lèvres. Anaria sentit la tonalité des grondements changer, comme si elle passait de menaçante à quelque chose comme ronronnante. Tel’Ay avança vers l’un des dragons, confiant, et passa sa main sur l’énorme crâne pour le caresser. Le Kromogo parut apprécier ce contact et ferma les yeux de contentement.
– Tu vois, fit Tel’Ay. Je crois que nous avons trouvé des montures !
Mais quand Anaria fit à son tour mine de s’approcher d’un Kromogo, celui-ci émit une plainte hostile. Tel’Ay la prit par la taille et recommença son opération de séduction auprès des créatures. Il fallut un long moment avant qu’elles acceptent la Wookiee.
– Il vaudra mieux que nous montions ensemble un Kromogo. Cela devrait suffire pour assurer ta sécurité.
– Devrait ?
Le sourire par lequel Tel’Ay répondit fut aussi moqueur que carnassier.


***

Ovelar Nantelek parcourait joyeusement le fichier informatique qu’il avait sous les yeux. Parfait ! C’était tout bonnement parfait !
Jamais à cours d’un plan de rechange, il s’apprêtait à plonger la République dans une instabilité qu’il espérait la plus longue possible. Ses forces militaires se reconstituaient lentement mais sûrement. Il lui faudrait encore du temps avant d’être certain de pouvoir défendre les mondes de son Hégémonie Zabrak, et plus encore pour agrandir son empire naissant, mais tout était en bonne voie.
Il avait repris contact avec les mondes qui avaient lâché la République pour le rejoindre avant de faire machine arrière sous les pressions de tous bords. Il avait assuré à leurs ambassadeurs que le moment était presque venu où ils pourraient à nouveau annoncer leur intention de faire sécession pour venir grossir ses rangs, et sans que personne ne puisse rien redire à la légitimité de leurs revendications.

C’est le document volumineux ouvert sur son écran qui allait lui en donner l’opportunité. Ses propres réseaux d’information valaient bien ceux des Bothans – qu’il avait d’ailleurs infiltrés depuis des années. Grâce à eux, il collectait des preuves de corruption contre tous les hommes politiques influents de la République. Conscient que l’exercice du pouvoir allait souvent de pair avec un manque de scrupules certain, il n’avait pas eu grand mal à monter des dossiers compromettants. Certes, certains sénateurs étaient farouchement intègres, mais des fausses preuves voire de simples rumeurs de corruption pouvaient tout aussi bien faire de terribles ravages dans leurs rangs.

Dans le cas de Jiger’Orsorul, Bothan jusqu’au bout des griffes, le contenu du dossier était véridique de bout en bout : pots-de-vin, menaces, extorsions de fonds, promesses non tenues, trois maîtresses et plusieurs enfants illégitimes alors que sa femme appartenait à l’un des clans les plus puissants de Bothawui, trucages de scrutins électoraux, disparition de rivaux, etc. Nantelek était presque impressionné par le personnage, qui ne semblait avoir négligé aucune action pour le faire pendre. Toute la panoplie de l’homme politique corrompu y passait, y compris certaines méthodes que Nantelek lui-même apprit pour l’occasion.
À la tête d’une fortune considérable en tant qu’Ovelar Nantelek et surtout maître du Côté Obscur de la Force en tant que Dark Omberius, ses pouvoirs et ses apprentis lui avaient permis de mettre la main sur toutes les preuves dont il avait besoin pour montrer à la galaxie à quel point Jiger’Orsorul était indigne d’occuper les plus hautes fonctions de la République.

Nantelek ouvrit un canal crypté et protégé pour Coruscant. L’ambassadeur Tol Guela répondit sur-le-champ.
– Monseigneur, je suis à vos ordres.
– Je l’espère bien. Avez-vous reçu le dossier sur qui vous savez ?
– Oui, monseigneur. Je propose de l’envoyer à tous les médias importants de Coruscant : museler un holojournal serait possible pour lui, mais il ne pourra rien si tous annoncent la même chose.
– Procédez, mon cher, procédez. Une jolie surprise vous attendra la prochaine fois que vous vous connecterez à vos comptes bancaires.
– C’est un plaisir de vous servir, monseigneur.

Quand Nantelek eut coupé la communication, Tol Guela soupira de soulagement. Peu de gens pouvaient altérer sa sérénité, mais Ovelar Nantelek avait ce pouvoir. Guela était un politicien assez chevronné pour savoir que le président de l’Hégémonie Zabrak possédait à coup sûr un dossier très complet sur ses propres activités illégales ou immorales – et elles existaient. Sa seule option était donc de le servir aveuglément.


***

Le Kromogo avalait les kilomètres à une vitesse impressionnante, et ses deux passagers avaient fort à faire pour rester cramponnés. Heureusement, les replis dorsaux presque annelés du Kromogo et les protubérances qui les parcouraient, permettaient à Tel’Ay et Anaria d’avoir prise, bien qu’ils n’auraient pas craché sur des selles. Tel’Ay était parfaitement à l’aise, jouissant des conditions locales parfaitement adaptées à son espèce, alors qu’Anaria était plus malheureuse que jamais, avec l’impression de respirer de l’eau en permanence.
Ils quittèrent leur monture dès que les faubourgs de la ville furent visibles. Gueule tournée vers le ciel, le Kromogo émit une plainte ressemblant à un adieu avant de faire demi-tour et se fondre dans la brume.
Tel’Ay et Anaria se faufilèrent discrètement entre les baraquements de bois qui bordaient la rue, qui n’était rien d’autre qu’un cloaque boueux. Ils évitèrent avec soin les rares silhouettes qui se découpaient de temps à autre.
– Il nous faut un landspeeder. On arrivera plus vite et ça évitera que des gens se posent des questions sur toi. Les Wookiees ne doivent pas être légion sur Skelor I, chuchota Tel’Ay.
– Reste à savoir s’il en existe, répliqua Anaria avec raison.
En effet, les seuls bruits qui parvenaient jusqu’à eux étaient comme étouffés, quelques éclats de voix et… des grincements, qu’ils identifièrent finalement comme provenant des essieux fatigués d’une charrette – remplie de ce qui ressemblait à du foin. L’attelage était tiré par un runderk. Le pachyderme progressait paresseusement et son conducteur Skelor, emmitouflé dans un manteau brun épais et coiffé d’un feutre à larges bords, paraissait recroquevillé sur lui-même.
- Reste ici, je vais l’interroger, fit Tel’Ay.
Il fit le tour de deux bâtisses miteuses pour se retrouver devant l’attelage, comme s’il arrivait par hasard à sa rencontre. Il leva la main pour héler le conducteur.
Celui-ci, morne, tira sur les rênes et les grincements irritants se turent.
– Bonjour, l’ami, dit Tel’Ay. Je suis un voyageur venu de loin, et j’avoue être un peu perdu. Comment s’appelle cet endroit ?
L’autre leva des yeux ternes et répondit d’une voix monocorde :
– Calibda. Nous sommes dans les faubourgs de Calibda.
– La capitale de Skelor I ?
– Il paraît, rétorqua l’autochtone d’un ton rogue.
– Le palais de Nantelek s’y trouve ?
– Tu es de ces amis ?
– Pas vraiment, non.
– Oui, le palais du Zabrak s’y trouve, finit par lâcher le Skelor.
– Tu peux m’y conduire ?
– Il est hors de question que j’approche de cet endroit maudit où vivent nos oppresseurs !
– Écoute-moi, l’ami, chuchota Tel’Ay, il est très important que je puisse me rendre à cet endroit…
Il écarta les pans de sa cape noire et montra ostensiblement le sabrolaser qui pendait à sa ceinture.
– … si tu vois ce que je veux dire, termina-t-il avec un sourire complice et en espérant que son interlocuteur le prendrait pour un Jedi en mission secrète.
L’autre resta coi mais Tel’Ay put sentir une vive excitation jaillir en lui. Il fallut un certain temps pour qu’il parvienne à maîtriser ses émotions, acquiescer de la tête et répondre simplement :
– Grimpe.
– Attends un instant, je ne suis pas seul. Anaria, ramène ta grande carcasse !
L’autochtone sursauta en voyant la haute silhouette de la Wookiee surgir du brouillard et venir sur eux au pas de course. Une expression émerveillée envahit ses traits quand elle s’arrêta à un mètre de l’attelage.
– C’est… c’est une Wookiee, n’est-ce pas ?
– En effet, répondit Tel’Ay, affable.
– Et… vous l’avez apprivoisée ?
Anaria grogna à cette répartie et l’autochtone rentra la tête dans les épaules, apeuré.
– N’aie crainte, fit Tel’Ay en s’asseyant à ses côtés. Elle a ses humeurs mais n’est pas méchante. Grimpe, Anaria, la paille fera une excellente cachette pour toi. – C’est du foin, répliqua l’autre.
– Si tu le dis.


***

Après une nouvelle dure journée de travail, aussi jouissive que les précédentes quand on occupait un poste tel que le sien, Jiger’Orsorul put enfin prendre le temps de se détendre une fois le dernier conseiller expédié. Il en était à se demander comment il allait pouvoir faire entrer discrètement dans ses quartiers privés les deux esclaves zeltronnes dont il avait fait l’acquisition récemment, quand sa console de communication émit un trille. Sa fourrure se hérissa quand il constata que le canal utilisé était celui qu’il réservait à ce qu’il appelait ses « sources », à savoir ses informateurs officieux.
– Oui ?
– C’est Kreng, de Holonews. Je sors d’une réunion exceptionnelle avec la rédaction. On vient de nous faire parvenir un dossier extrêmement compromettant sur vous et mes supérieurs veulent en faire la une à la prochaine édition.
– Quoi ? Il n’est pas question que cela…
Un nouveau trille retentit, d’une source similaire, puis un autre, puis encore un autre…
Jiger’Orsorul se contenta de regarder le nom des expéditeurs : ses contacts de Coruscant-Minute, de Mararai-Hebdo, du Républicain, et d’une bonne dizaine d’autres titres-phares de l’espace républicain.
– Chancelier, vous êtes là ? Chancelier ? insista Kreng.
Orsorul coupa la communication, et éteignit d’une main tremblante la console d’une voix tremblante.


***

En chemin, le paysan – Lit’Nor – gratifia Tel’Ay du récit de toutes les exactions commises par l’occupant zabrak contre le peuple skelor. Bien que le Sith s’en moquât éperdument, il afficha un masque de compassion de bon aloi et hochait la tête pour approuver les propos de son nouvel ami quand il le fallait.
Toute son attention était surtout focalisée sur son environnement. Il avait déjà remarqué que les vêtements de Lit’Nor étaient usés jusqu’à la corde, mais il vit que tous les autres Skelors qu’ils croisaient et qui avançaient tête basse lui ressemblaient beaucoup sur ce point-là. Il savait que les Skelors qui avaient pu partir en exil étaient pauvres dans leur grande majorité, mais force était de constater que ceux qui n’avaient pas fuis n’étaient pas mieux lotis. Pendant la demi-heure que dura leur lent cheminement à travers les rues quasiment désertes, il ne vit en tout et pour tout que deux landspeeders, aux vitres teintées. À chaque fois, Lit’Nor cracha au sol après leur passage en murmurant « traîtres ». La seule autre manière de se déplacer semblait être des charrettes semblables à celle de Lit’Nor.

Peu à peu, les rues boueuses et les bâtiments montés de bric et de broc qui les bordaient laissèrent place à des avenues pavées et des bâtiments préfabriquées, ces derniers cédant ensuite à la place à des immeubles de plus en plus imposants fabriqués dans des blocs massifs de pierre blanche, sûrement du calcaire. Ils finirent par déboucher sur une place assez vaste pour permettre l’atterrissage d’un croiseur. Le sol était recouvert de fines mosaïques chatoyantes, mais le brouillard persistant ne permettait pas d’en apprécier les frises.

L’objectif de Tel’Ay se dévoila dans toute sa splendeur. Lit’Nor n’eut pas besoin de lui indiquer quel édifice était celui d’Ovelar Nantelek. L’édifice écrasait de sa taille le reste de la place. Une volée de marches hautes montait jusqu’à un niveau orné de colonnes impressionnantes, au milieu desquelles se découpait une double porte haute de trois mètres, dont chacun des pans était ouvert.
Des mercenaires faisaient le pied de grue devant, surtout zabraks et togoriens. Ils avaient beau n’être qu’une dizaine, nul doute qu’il y en aurait d’autres derrière. Tel’Ay avait pris soin de se déconnecter de la Force dès qu’il s’était installé aux côtés de Lit’Nor, désireux de ne pas attirer l’attention d’Omberius. Il lui faudrait tenir sans se dévoiler le plus longtemps possible.
Arrivés au milieu de la place gigantesque, Tel’Ay posa sa main sur l’épaule de Lit’Nor et lui dit :
– Merci, mon ami. Je descends là. Je vais aller directement sur eux et monopoliser leur attention. Pendant ce temps, fais le tour de la place avec ta charrette. Je les occuperai jusqu’à ce que tu arrives, et Anaria pourra m‘aider à faire le ménage.
– C’est ça ton plan ? demanda la Wookiee cachée sous le foin. Rentrer dans le tas ? Ce n’est pas un peu trop simpliste ?
– C’est simpliste, mais on bénéficiera de l’effet de surprise. D’ici à ce qu’ils comprennent ce qui leur arrive, on aura le temps d’arriver jusqu’à Omberius.
– Ça, c’est ce que tu espères. Pour ma part, je pense que ton optimisme frise de trop près l’inconscience.
– Si je me plante, je te promets de te faire mes plus plates excuses, répondit Tel’Ay en sautant de l’attelage.
Il échangea un signe de tête avec Lit’Nor avant de marcher résolument vers le palais.


***

Les révélations de la presse sur Jiger’Orsorul plongèrent le Sénat en ébullition. Le scandale était immense et le coup porté à la République très grave. Pendant de longues heures, les sénateurs exigèrent du chancelier qu’il vienne s’expliquer devant eux. Les rumeurs allaient bon train : Orsorul s’était enfui en catimini vers Bothawui, il était victime d’une campagne calomnieuse – bien que les preuves apportées ne laissassent pas place aux doutes. Selon d’autres encore, il avait été mis aux arrêts sur ordre du Conseil Jedi, seul organisme habilité à prendre le pouvoir en cas de vacance de la chancellerie, en attendant l’organisation de nouvelles élections. Le chaos était à son comble.

Les trois maîtres Jedi, capuches rabattues, arpentaient lentement les couloirs du Sénat. Les nombreux gardes qui les encadraient avaient fort à faire pour leur permettre d’avancer au milieu des sénateurs, assistants et journalistes qui voulaient savoir ce qui se passait.
Ils ne dirent pas un mot et parvinrent enfin à rejoindre les quartiers privés de Jiger’Orsorul, devant lesquels le chef de la sécurité du Sénat, extrêmement agité, ne cessait de faire les cent pas. Les voir arriver fut pour lui un immense soulagement. Il les fit entrer, les suivit et verrouilla derrière lui.
Les maîtres dévoilèrent leurs visages : étaient présents le Nikto Maddeus Oran Lijeril, Grand Maître de l’Ordre, et deux autres membres du Conseil Jedi, la Besalisk Mecti Laminer et le Caamasien Tempeï-Liy.

Le chef de la sécurité les mena jusqu’au bureau de Jiger’Orsorul. Le chancelier était assis bien droit dans son fauteuil cossu, la tête maintenue par le dossier rembourré qui la dominait. Ses yeux grands ouverts ne regardaient rien, un filet de bave coulait aux commissures de ses lèvres bordées d’un fin duvet de fourrure. Le manche d’une dague saillait de sa poitrine, enfoncée à l’endroit où se trouvait son cœur.
– Je… je pense qu’il s’est donné la mort, maîtres, hasarda le chef de la sécurité.
Lijeril se tourna vers ses compagnons après une longue réflexion :
– Il nous faut annoncer son décès… et que le Conseil Jedi prend la tête de la République. Faites venir nos meilleurs diplomates, nous devons organiser au plus vite de nouvelles élections.