Garcia et Mitchell parèrent au plus pressé dans le mess, en faisant disparaître dans leurs cabines respectives tout ce qui y était étranger au service. Vingt minutes leur suffirent pour faire place nette. Dans les couloirs, ils croisèrent à deux reprises leurs deux officiers supérieurs. Harlington s’exprimait d’un ton tranchant, autoritaire, et Lupescu prenait des notes au fur et à mesure sur le bloc de données. Quand il eut le loisir d’échanger un regard avec ses amis, ceux-ci virent un air de chien battu dans ses yeux.
Conformément à ses ordres, Mitchell se posta ensuite à l’entrée de l’USS Baltimore. Dix minutes s’étaient à peine écoulées qu’un camion se garait au pied de l’appareil. Cinq hommes en uniforme rouge en sortirent. Quatre d’entre eux déchargèrent prestement des cartons du camion, et les posèrent au pied de l’escalier. Le dernier, l’enseigne Mary O’Connor, monta les marches quatre à quatre pour rejoindre Mitchell.
– Qu’est-ce que m’a dit Lupescu ? On a un commandant, maintenant ?
– Oui, il…il donne des ordres et, entre nous, il n’a pas l’air très commode.
– Bon, je n’ai plus qu’à aller me présenter à lui, répondit l’ingénieur, en tirant sur sa tunique pour l’ajuster, avant de passer une main dans la frange blonde qui lui tombait sur le front.
– Hey, il me faut une signature pour la marchandise, fit l’un des hommes restés en bas.
– Vas-y, Mary, dit Mitchell, j’ai reçu ordre de ne pas bouger d’ici.

Quand elle fut en bas, l’officier de la Logistique secoua la tête et expliqua :
– Mes instructions sont de faire signer la décharge à l’officier de bord en charge de l’approvisionnement, un certain Mitchell.
Mary O’Connor remonta donc et, un peu essoufflée, garda l’entrée tandis que Mitchell descendait pour accomplir le premier acte officiel de sa nouvelle fonction.
Tandis qu’il commençait à monter un à un les lourds cartons, l’enseigne O’Connor partit à la recherche de son commandant. Vue la taille exiguë du navire, elle ne tarda pas à le trouver, sur la passerelle.



Elle effectua un impeccable salut et se présenta :
– Enseigne Mary O’Connor, à vos ordres, commandant.
– Repos, enseigne.
– L’aspirant Mitchell m’a chargé de vous annoncer que le matériel commandé est arrivé, monsieur.
– Parfait. Monsieur Lupescu, vous procéderez à la distribution des communicateurs et des blocs de donnée, lancerez les tortues à bord, et ferez mettre le reste sous clef, sous la responsabilité de Mitchell. Enseigne O’Connor, je vous nomme à titre provisoire ingénieur en chef du navire. Votre mission est de superviser toutes les remises en état afin que nous puissions décoller d’ici trente jours.
– Trente… ? C’est impossible, monsieur !
– Je ne veux pas le savoir, enseigne, rétorqua Harlington. Nous avons des ordres.
– Mais vous ne vous rendez pas compte, monsieur, de la somme de travail que cela va représenter !
– Faites-en la liste, et nous aviserons pour définir les priorités. Au boulot tout le monde ! Si vous avez besoin de moi, je suis dans ma cabine.

Harlington retourna au mess. Il fut satisfait de voir qu’à part l’omniprésente poussière, la pièce avait retrouvé son allure normale. Il attrapa son sac, que ses hommes avaient posé à l’entrée, et gagna sa cabine. Evidemment, la porte automatisée était en panne, comme les autres, aussi dut-il la débloquer manuellement avant de pouvoir entrer. La pièce, austère, se composait d’une couchette minuscule dans un coin, et d’un cabinet de douche-toilettes le long du même pan de mur. Une étagère qui courait jusqu’au plafond séparait cette partie « privée » de l’autre moitié de la chambre, où un bureau était fixé contre une cloison. Nulle de trace de l’ordinateur qui aurait dû d’y trouver. Restait un carré d’environ trois mètres de côté, que Harlington pourrait aménager comme bon lui semblerait.
Il sourit à la vue de la cabine pourtant exiguë. Voilà, il était chez lui ! Il attrapa son communicateur et s’ouvrit une fréquence :
– Mitchell, vous m’entendez ?
– Oui, commandant.
– Programmez une tortue et envoyez-la moi, je vous prie.
– A vos ordres, monsieur.
– Dressez la liste de tout ce dont nous allons avoir besoin pour vivre en autarcie, en commençant par des draps et des couvertures propres, et commandez-les auprès des Services Logistiques.
– Ce sera fait, monsieur.
D’ici une demi-heure, estima-t-il, et en attendant que la malle qui contenait le reste de ses bagages arrive, il aurait le temps de prendre ses aises. Il posa son sac sur la couverture légère et douteuse qui recouvrait sa couchette, et commença à déballer ses affaires.

Il fallut finalement une bonne heure pour que la cabine ressemble à un lieu de vie agréable. N’y manquaient que ses plantes, pour lesquelles il s’inquiéta, espérant qu’elles n’auraient pas trop souffert du voyage.
Quelqu’un frappa à la porte de sa cabine. Il la fit glisser et vit Mary O’Connor au garde-à-vous devant lui, son bloc de données à la main.
– Entrez, enseigne.
Les housses des deux fauteuils de sa cabine ayant moisi avec le temps, il ne la fit pas asseoir, et se contenta de lui faire face, les mains dans le dos.
Mary O’Connor prit son courage à deux et annonça le déluge de mauvaises nouvelles :
– Monsieur, la première chose à faire est évidemment de restaurer la puissance énergétique du navire. Le problème est que le système de survie qui l’équipe est un TX-23, et que ce modèle n’est plus fabriqué depuis vingt ans. Le Département Ingénierie de la Flotte ne dispose plus que de rares pièces, qui ne sont plus remplacées. Conclusion, nous ne pouvons pas réparer.
– Ce n’est pas le genre de conclusion que j’attends de votre part, enseigne, répondit Harlington d’une voix neutre.
– Je…j’ai réfléchi au problème, commandant, et je pense qu’il est possible d’adapter le système HZU-221. D’une part, c’est le tout dernier système qui ait été mis en fonction, et il est pourvu d’une adaptabilité qui devrait faire l’affaire.
Devrait, enseigne ?
– Fera, monsieur, corrigea l’ingénieur. Néanmoins, cela nécessitera de changer plusieurs kilomètres de câblages, pour des raisons de différences d’impulsion dans les transmissions. J’estime qu’il faudra quatre jours et autant d’ingénieurs pour effectuer ces ajustements.
– Quoi d’autre ?
– Nos nacelles de distorsion devront être changées pour coller aux dernières normes en vigueur, ainsi que la chambre à plasma et le réservoir de deuthérium. Comme toutes ces pièces sont standardisées le plus possible, pour être plus facilement adaptables aux différents navires de la Flotte, nous n’aurons pas trop de mal à les installer sur le Baltimore, monsieur. Huit ingénieurs chevronnés et trois semaines de travail sans répit devraient permettre d’en venir à bout.
– Ce délai aussi devra être raccourci, enseigne. Je m’occupe de vous trouver de la main-d’œuvre. Commandez toutes les pièces et les outils que vous estimerez nécessaires. Mais avant toute chose, je veux que vous vous assuriez que les systèmes de survie, eau, énergie, synthétiseurs de nourriture et tous ceux que j’oublie, fonctionnent le plus rapidement possible. A partir de maintenant, personne ne quitte le Baltimore sans autorisation. Le navire doit donc être à même de répondre à tous nos besoins quotidiens.
– Oui, monsieur. Monsieur…si je puis me permettre ?
– Oui, enseigne ?
– Vous avez parlé de trente jours d’ici le décollage ?
– En effet, enseigne.
– Je pense que le délai sera impossible à tenir, surtout qu’il faudra aussi remettre en état la coque, faire installer des senseurs et des détenteurs plus perfectionnés, remplacer tout l’équipement médical, sans oublier…
– Dressez vos listes et les priorités, coupa Harlington. Tout ce qui pourra être remis en état pendant le voyage attendra. Mais le reste sera accompli avant le décollage. Nous y veillerons. Envoyez une copie de votre rapport à l’enseigne Lupescu, afin qu’il fasse le lien avec Starfleet.
– A vos ordres, monsieur, répondit O’Connor avec un certain scepticisme.