Épisode 2

 

 

    Bon, après le premier rendez-vous à l’hôpital pour l’écho de confirmation qu’il y a un Barbatruc en développement, vient le temps du deuxième rendez-vous.

    Lors du premier épisode, je chambrais un peu légèrement la bureaucratie à la française, mais en forçant largement le trait : se moquer des fonctionnaires et de leur efficacité est un peu un running gag, quand bien même cela ne correspond pas à la réalité.

    Ah ! Ah ! Innocents naïfs que nous étions ! La bureaucratie à la française, tel un boomerang maléfique imprégné de tout le négativisme du monde de la galaxie de l’univers, allait nous revenir en pleine gueule lors de ce deuxième rendez-vous !

 

    On se pointe donc à l’hosto, tranquilou. On trouve une place pour se garer en deux secondes… et cinquante-trois minutes, le temps de faire cent-quarante-deux fois le tour du parking. C’est pas possible, la station-service du coin a sûrement fait du lobbying pour qu’il n’y ait pas assez de places, comme ça les gens sont obligés de s’arrêter faire deux fois le plein (minimum) avant de trouver à se garer ?

 

    Bref. Comme à la boucherie de la supérette, on prend un ticket en attendant notre tour. Miracle, ça met pas trop longtemps ! De là, on nous envoie attendre devant la porte du toubib. OK. Deuxième miracle, là encore ça met pas trop longtemps pour que Madame passe en rendez-vous.

 

    Pendant ce temps, je me cultive sur mon smartphone. Oui, j’y ai des jeux, et comme je suis un gros branleur, c’est trop de la balle pour passer le temps. Et vu que je suis un adulte responsable et normal qui montre l’exemple à la nouvelle génération, on se retrouve donc avec (en attendant que Madame sorte) : moi et mon smartphone (piou ! piou ! piou !), l’aînée des petites morues et sa DS (cling ! tchak ! cling ! tchak !) et la mini-morue numéro deux et la tablette de Madame (ting ! plop ! ting ! plop !).

    Faut vraiment qu’on se fasse des trucs plus ludiques, quand même. Du coup, je me dis qu’il faudrait leur apprendre la gestuelle de la fusion dans Dragonball Z. bon, on verra ça une fois rentrés à la maison, parce que dans le couloir de l’hôpital, c’est peut-être pas le top, à la réflexion.

 

    Le triple miracle, c’est que la consultation ne dure pas des plombes non plus. Donc vous allez me dire, tout va bien ? Finger (ou fingerS s’ils sont assez petits, ou si vous avez des grosses narines) in the nose ? Tip top badaboum ?

 

    Et bah non. Badaboum tout court. Car là, c’est le drame.

 

    Le toubib se rend compte, pas content, que la secrétaire s’est plantée pour la date du troisième rendez-vous, qui arrive une semaine trop tard pour détecter une éventuelle trisomie chez Barbatruc. Et que donc il faut le changer, avec en date limite la semaine prochaine.

 

    Donc retour à la boucherie… euh non, au secrétariat prendre un ticket, et nouvelle escale devant la secrétaire, qui s’avère n’être pas la même que la fois d’avant. Heureusement pour elle, d’ailleurs, sinon y’aurait eu des coups de battes de base-ball dans les genoux qui auraient volé. Bon, OK, j’exagère un poil : j’ai pas de batte de base-ball et je suis non-violent (sauf avec mon clavier d’ordi quand je perds au Tetris multiplayer mondial, mais ceci est un autre problème).

    Après le toubib qui a tout de suite décelé le problème dans la date de rendez-vous, la secrétaire le voit elle aussi tout de suite. Bref, tout le monde voit tout de suite le problème. Sauf la première incompétente de cruche de secrétaire vue la première fois. Connasse !

 

    Une fonctionnaire pouvant en cacher une autre, cette nouvelle secrétaire regarde le planning de la semaine prochaine et annonce :

    – Ah bah non, tous les créneaux sont pris, je ne peux rien faire pour vous.

    Ou, en d’autres termes :

    – Ma collègue a fait n’importe quoi et je vais sûrement pas me faire chier à vous arranger le coup, vous n’avez qu’à vous démerder avec votre futur gniard.

    Ça, c’est dit. Néanmoins, un soupçon d’humanité la prend quand elle donne quand même des pistes :

    – Y’a une sage-femme à Hennebont, et sinon y’a la clinique du Ter. Pour le reste, c’est pas marqué Pages Jaunes sur ma tronche. Barrez-vous. AU SUIVANT !

    Évidemment, je trouve la situation formidable : nous sommes dans l’hôpital de Lorient, le lieu qui regroupe des centaines, que dis-je des milliers d’hospitaliers, la force vive de la médecine dans le coin, et personne n’est foutu de nous caler un rendez-vous en urgence, toute relative pour la semaine suivante ??????? Les plannings golf des toubibs sont bookés de chez bookés ou quoi ?

 

    On se retrouve donc dehors devant l’hosto, avec Madame qui est aussi verte que miss Hulk. Forcément, quand elle empoigne son portable, il ne marche pas.

    On entendrait presque le rire de Satan dans notre dos.

    – Arrière, démon ! que je crie alors. À moi, Saint Christophe !

    – Vous vous êtes trompé, monsieur, me répond un passant. L’hôpital psychiatrique n’est pas à Lorient mais à Caudan.

    Ah ? Zut. Du coup, je fais ce qu’une personne normale ferait : je sors mon smartphone à mon tour pour le prêter à Madame.

    Suivant les « conseils » (mot à prononcer en grinçant des dents) de la secrétaire, on appelle la sage-femme d’Hennebont. Paf, elle est en arrêt de travail depuis des semaines ! Bravo la secrétaire, au top du top pour ce qui est de l’actualisation de ses fichiers.

    Plan B : appeler la clinique du Ter. Hop, ça répond tout de suite, tout va bien.  Explication de la situation, et re-hop, transfert d’appel au service gynécomachin.  De là, soit le téléphone a été mal raccroché, soit c’est la pause-goûter, soit y’a la rediff des épisodes de la veille de Plus Belle La Vie, soit la téléphone leur a été coupé parce qu’ils n’ont pas payé la note. Bref, personne ne répond.

 

    OK, qu’à cela ne tienne. Ils commencent tous à me faire chier. Je rentre le ventre, bombe le torse, relève la tête et dis :

    – Tout le monde dans la voiture, on va au Ter. Car comme dit le proverbe ancestral, « Si la clinique ne vient pas à toi, va à la clinique ».

    Et comme par un enchantement tel que j’entends à nouveau le rire tout proche de Satan, maintenant qu’on s’en va, il y a plein de places sur le parking.

 

    Hop ! Hop ! Hop ! Vroum ! Vroum ! Et ça y est, on se retrouve garés à la clinique (oui, je suis trop super bon en transitions).

    On va à l’accueil, on sort de l’accueil car c’est pas là, on trouve le bon bâtiment, on ne prend pas l’ascenseur pour aller au premier, on entre et là, y’a pas de ticket pour la boucherie. Juste des gens. Nombreux. Genre partout.

    Et là on attend. Sauf que là, on est dans une clinique. Un truc privé. Qui dit privé dit pas de fonctionnaires, mais des salariés. Et là, ça change tout ! À peine quelques minutes d’attente pour Madame avant de pouvoir expliquer son cas, pour la prise de rendez-vous en urgence relative.

    La secrétaire en face écoute le truc, ouvre son agenda dans lequel il y a déjà cent-cinquante-trois rendez-vous notés pour chaque heure. Pas de souci : vu qu’il lui reste un petit carré blanc où inscrire un rendez-vous, elle note le nom de Madame et hop, c’est bâché !

 

    Du coup, soulagement général, et miss Hulk reflue à l’intérieur de Madame, qui ordonne à son chauffeur :

    – On va à Larmor-Plage.

    – À vos ordres, Madame, répond-il.

    Ce n’est que sur la route que le chauffeur se rappelle qu’il est moi et que je ne suis pas un domestique. Mes esprits repris, je me transforme aussi sec en guide touristique : la Croisette de Larmor, on connaît. Donc faut aller ailleurs. CQFD (oui, mes raisonnements sont super courts, j’aime pas les maths).

    Presque sûr de moi, je prends une petite route qui, il y a vingt ans, m’aurait conduit là où je veux aller. Ô surprise, elle m’y conduit toujours ! Où sont passés les sens interdits, les dos d’âne, les ronds-points, les rétrécissements, bref toutes ces saloperies qui ont fleuri ces dernières décennies sur les routes ? Tout fout le camp, faut croire…

 

    Et vlan, nous voilà donc au Kernevel. On fait comme les gens du coin qui lâchent leurs chiens sur la plage : on y lâche les enfants. De là, la petite essaie de nous piéger en enchaînant les questions :

    – C’est quoi ça ?

    – Un caillou.

    – C’est quoi ça ?

    – Un caillou.

    – C’est quoi ça ?

    – Un coquillage.

    – C’est quoi ça ?

    – Un caillou.

    – C’est quoi ça ?

    – Un coquillage.

    Etc, etc, sinon je remplis dix-huit pages de plus.

 

    Comme je n’oublie pas les choses importantes, je savais avant même qu’on arrive qu’il y avait un bistrot dans le coin, et je priais sur la route pour qu’il existe encore, histoire de frimer. Parce qu’attention, c’est pas le troquet du coin, ni le bar-PMU où Roger et Loulou boivent leur premier canon de rouge à partir de 9h30. Non, non, non !

    C’est la Villa Margaret, que ça s’appelle. Je vous ferais bien la description à coup de termes architecturaux pour que vous visualisiez le bar, mais ça va vous saoûler (saoûler… bar… lol). Bon, OK, j’avoue, je les connais pas, les termes architecturaux en question. On va donc faire court : briques rouges, pierres apparentes blanches, tronche de villa.

    Et dedans, c’est à l’avenant : plafond si immense que j’aimerais pas être préposé aux toiles d’araignées si j’y bossais, cheminée monumentale, décor bois chaud avec un joli vert et des hermines bretonnes qui courent entre les poutres, et piano à queue.

 

    Et bien entendu, tant qu’à faire, on a fini au restaurant d’à côté. Non mais oh !

 

    Du coup, une grande interrogation me taraude : est-ce qu’en fin de compte, on doit remercier la greluche de secrétaire incompétente qui a fait n’importe quoi au niveau des rendez-vous, et sans qui on n’aurait pas passé cette bonne fin d’aprèm et de soirée, par vengeance ? Vaste question. Vous avez quatre heures. Calculatrice interdite.

 

    Et sinon, tout se passe bien à la maison. Madame dort la nuit. Le matin. L’après-midi. Je dirais bien que ça me rappelle un peu les reportages animaliers sur les grizzlis qui hibernent pendant des mois, mais la comparaison risque de me valoir un uppercut…